Wade devrait dire aux Sénégalais : « Tuubi ruubi, deetu ma pasar-pasaree alalu rééw mi. (Pardonnez-moi, je ne vais plus gaspiller les biens du pays.) En 2000, vous m’aviez élu parce que j’avais promis de résoudre vos problèmes. Je n’ai pas tenu promesse. Maintenant, vous en avez marre, vous n’en pouvez plus. Vous êtes fatigués, vous êtes en colère. La situation est devenue explosive. Si j’étais dans l’opposition, j’en aurais profité pour renverser le régime en place. J’ai vidé les caisses de l’État pour satisfaire mon égo, entretenir mes laudateurs et acheter les personnes susceptibles de renforcer mon pouvoir. »
Tout a commencé quand le peuple, fatigué du régime socialiste, mit Wade au pouvoir pour « sopi » le Sénégal. Très vite, ce fut la désillusion, la déception. Celui qu’on prenait pour le sauveur se révéla bourreau. Il se débarrassa des artisans de l’alternance et fit appel à ceux dont le peuple ne voulait plus. Si ce n’est pas de la trahison, dites-moi ce que c’est. Tous les opportunistes qui ne croient en rien d’autre qu’à remplir leurs poches ont rejoint le Pds, laissant dans leurs anciens partis ceux qui ont des convictions et pensent un tant soit peu au bien-être des populations. La misère s’aggrava dans le Sénégal d’en bas alors que Gorgui et ses proches dilapidaient les biens du pays, les caisses de l’État déclarées pleines. Ce fut l’ère de la transhumance. Madame Mata Sy Diallo a révélé qu’on lui avait proposé un milliard de francs pour qu’elle entre dans les rangs du parti de Wade. Si tous les transhumants n’ont pas reçu une telle somme, beaucoup se sont facilement enrichis et à outrance. Dans une commune de 15 000 habitants, chef-lieu de département, où il n’y a même pas une route goudronnée à part la Nationale qui la traverse, où l’eau potable est une denrée rare, où offrir 1000 francs Cfa à quelqu’un est comme lui offrir un million, une femme, ex-membre du parti socialiste, n’a eu qu’à retourner sa robe pour se retrouver ministre sous Wade. Trois ans lui ont suffi pour accumuler une fortune qu’elle ne cache pas. Elle construit ses villas un peu partout dans le pays, s’achète des voitures et en offre, fait réfectionner une mosquée, distribue des liasses de billets de banques et a même des drapeaux de lutte à son nom. Quel salaire peut permettre un tel train de vie ? Pire, de pauvres hères avant l’an 2000 circulent aujourd’hui, grâce à l’alternance, dans des 4x4 et ont leurs villas. On peut alors se demander combien gagne le « généreux » Karim qui distribue des dizaines de millions ? Et quand les enseignants réclament des salaires décents, on leur répond qu’ils ne pensent qu’à l’argent. Comment veut-on que le peuple continue de supporter cela ?
On n’attendait plus que mars 2007 pour déboulonner Abdoulaye Wade comme on l’avait élu. Il n’en fut rien. Pour rester au pouvoir, il lui fallait impérativement gagner au premier tour, et … il fut déclaré vainqueur, au grand damne du peuple consterné. Jusqu’à présent d’aucuns contestent ces résultats et parlent de fraudes et de fichier électoral non fiable. En Afrique, il faut être vraiment démocrate pour organiser des élections et les perdre. Wade a organisé et Wade a gagné. Comme il n’y a pas eu preuve de fraude, Macky Sall, directeur de campagne, aurait donc fait un excellent travail et mériterait tous les honneurs possibles et imaginables. Mais non. Wade l’a fait descendre de sa station de Premier ministre pour le larguer à l’Assemblée Nationale, l’a ensuite viré de son poste de numéro deux du Pds avant de lui mener une guerre sans merci, voulant à prix le rayer du paysage politique, tout en réconfortant le ministre de l’Intérieur qui avait supervisé ces fameuses élections. Il y a en effet de quoi se poser des questions. Mais « sacc bu rawee di buur ». Vrai ou faux, jusqu’à l’extinction du soleil, nul ne pourra le prouver.
Il est clair que Wade ne se soucie pas du sort des populations. Pensant qu’il lui suffit de mettre les marabouts dans sa poche pour avoir les sénégalais à sa merci, il n’œuvre que pour garder le pouvoir, laisser son nom dans l’histoire et préparer sa succession.
Pour garder le pouvoir, il a mis le paquet. Il lui fallait affaiblir l’opposition. Ce fut tâche facile car beaucoup ne croient qu’en l’argent et se sont vite laissés acheter. Ensuite il donna de l’argent aux syndicats, leur demandant trois ans sans grève. A mourir de rire. Il a mis la main sur les trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. Désormais ses désirs sont des lois. Sa mégalomanie prend alors le dessus. C’est l’aubaine pour les courtisans. Wade le visionnaire, Wade le sage, Wade le surhomme. Mais comment se fait-il que des pays qui n’ont pas des chefs d’État aussi géniaux et visionnaires que le nôtre s’en sortent mieux que le Sénégal ? Remplir les ventres de ceux qui ont faim et soigner les malades ne laissent pas de traces durables. Wade veut du solide, du béton. Il lui faut des édifices, des monuments. Il dit, lui-même : « Ce qui reste dans le temps, dans l’histoire, ce sont les grandes œuvres qui doivent être suffisamment belles et solides pour résister à l’érosion du temps. » Il dépense dans ses « grands chantiers » pendant que les gens meurent de faim. Une nouvelle capitale s’impose. Il ne veut pas prendre une ville existante comme Diourbel ou Tambacounda. Non. Il est prêt à affamer le peuple pour créer une ville dont on dira « Abdoulaye Wade l’a fondée en telle année. » Il pourrait vendre le Sénégal pourvu qu’on le félicite et lui fasse croire qu’il est l’homme le plus grand qui ait jamais marché sur cette terre.
Il décide de tout, élit qui il veut, humilie qui il veut, récompense qui il veut, fait ses remaniements selon ses humeurs, jette en prison qui il veut et libère qui il veut, quand il veut. Le peuple n’y comprend rien, n’y peut rien et le laisse donc faire. Ainsi avons nous eu droit à une loi (Ezzan) montée de toutes pièces pour protéger des criminels. Du jamais vu ! Si Une mouche piquait Wade lui donnant envie d’interdire le thiéboudieune, une loi serait votée et les Sénégalais privés de leur plat national. Voilà la démocratie du roi qui fait joujou avec la volonté du peuple.
Ça se voit qu’il n’a pas entendu Bob Marley chanter : « A hungry mop is a an angry mop » (Une foule affamée est une foule en colère.)
Oui, le peuple a faim et est en colère.
Pendant que le monde rural patauge dans un dénuement total et que même dans les grandes villes des enfants vont au lit le ventre vide, le ministre de l’Agriculture déclare qu’il n’a nulle part entendu parler de famine et que « les difficultés soulevées dans certaines localités sont parfaitement prises en compte par le gouvernement ». Comment survivre est devenu la seule préoccupation des populations. Des femmes s’adonnent à la prostitution dont le « mbaaraan » n’est qu’une forme. Les garçons font tout pour quitter le pays, s’ils n’entrent pas dans le banditisme ou le commerce informel.
Wade a tout mis en place pour régner aussi longtemps qu’il le voudra et faire de son fils son successeur. S’il est encore vivant en 2012, rien ne l’empêchera de réviser la constitution pour brider un nouveau mandat, à l’instar de Paul Biya, son homologue camerounais. Et pour nous imposer Karim comme président, il lui suffit de faire voter une loi pour que ça passe comme une lettre à la poste. Mais cela le mettrait dans la classe des Bokassa, Idi Amin Dada, Eyadema… Wade tient à sa réputation, son image. Il veut une succession décidée d’avance, mais démocratique. Il faudra organiser des élections que Karim doit gagner. Il y met toute son énergie et l’argent du pays, oubliant les problèmes de ceux qui l’ont élu.
Depuis l’intronisation de son père, Karim fait la pluie et le beau temps au Sénégal. Tout le monde désapprouve, nul parmi les gouvernants n’ose protester. Tous les opportunistes rejoignent la soi-disant génération du concret pour assurer leur part du tong-tong. Certains ont même la lâcheté d’accuser Macky Sall d’être à l’origine de la crise au Pds, tout en sachant que c’est Wade qui a divisé son parti. Tous ceux qui ne soutiennent pas son fils seront éliminés. Si vous en voulez à un membre du Pds, dites qu’il est contre le destin présidentiel de Karim et il sera vite écarté. Et quiconque veut s’attirer les foudres du père n’a qu’à s’opposer à la volonté du fils. Macky a commis le crime de fourrer son nez dans la gestion des milliards que brasse l’intouchable Karim Meissa Wade dont les travaux peuvent durer 50 ans en effet, comme le veut son père. TGV, deuxième capitale, aéroport de Diass, le plus grand théâtre d’Afrique, la plus belle corniche d’Afrique, la mosquée mouride, le tramway, l’énergie nucléaire, l’Université du Futur Africain, sans parler des lingots d’or et des puits de pétrole. Qui serait surpris qu’on lui confie tous ces rêves et bien d’autres à venir ? Qu’on se dise la vérité. Pendant que le peuple est gavé de promesses et de mensonges, Wade et les siens ont du concret. Leur bombance est concrète. Maintenant, Karim devant mettre les marabouts de son côté pour dompter les talibés en jouant avec leur foi, je lui conseille d’être encore plus généreux, de commencer ses discours par « bismila » et de chanter quelques « khassida » pour que les « euskeuy ! » fusent de partout. Et le tour sera joué.
Et l’opposition dans tout cela ? Eh bien ! Wade la mène à sa fantaisie. L’exemple le plus frappant date de mars 2007. Avant la proclamation officielle des résultats des élections, Wade prit la parole pour se déclarer vainqueur et menaça de poursuivre ses opposants qu’il accusait d’avoir volé l’argent du peuple, chiffres à l’appui. Ce n’était qu’une ruse pour éviter un soulèvement populaire. Depuis, il n’en a plus jamais parlé. Il serait même en train de préparer un poste de vice-président pour Idrissa Seck qui a, selon lui, détourné des dizaines de milliards dont le pays a grand besoin... Hum… C’est louche et ça fait froid dans le dos… Il est évident qu’un tel président ne respecte pas son peuple.
C’est alors qu’un journaliste se demande « et l’armée dans tout ça », ce qui lui a valu un séjour carcéral.
Des marches sont décidées pour attirer l’attention sur la cherté de la vie, on les interdit, des gens s’expriment, on les met en taule. Mais on n’arrête pas un fleuve avec ses doigts. Wade finit par se rendre compte que le pays est en ébullition, son règne menacé, il lâche alors du leste, mais de la manière la plus incongrue. Lui qui n’était même pas au courant des coupures d’électricité se permet de dire aux Sénégalais d’éviter les gaspillages, leur conseillant de ne pas laisser des lampes allumées dans des pièces inoccupées, même momentanément. Que c’est maladroit ! Les Sénégalais savent que les vrais gaspillages qui ont plongé le pays dans cet état se font ailleurs. Wade a gaspillé, continue de gaspiller, et veut que le peuple paye. Il nous demande de serrer la ceinture et quelques jours plus tard il est en Europe avec sa cour pour gaspiller encore de l’argent juste parce qu’il a publié un livre.
S’il veut vraiment restreindre le train de vie de l’État, qu’il supprime les caisses noires dont bon nombre de citoyens n’ont appris l’existence que quand Idrissa Seck a avoué s’en être servi. Dans la même lancée, il peut supprimer le Sénat qui ne sert à rien, dissoudre l’Assemblée qui est tout aussi inutile et avoir le courage d’annoncer ses lois à la télé qu’il chérit tant. Cela nous ferait des économies et nous éviterait le cirque minable des députés et sénateurs. Il peut aussi limoger tous ses ministres qui, du premier au dernier, ne font que de la figuration. La meilleure est quand le ministre des Finances, n’ayant pas peur du ridicule, annonce qu’il veut acheter un avion pour son patron, avion qui, nous apprend Souleymane Jules Diop, est acheté depuis plus de cinq mois. Si Wade veut jouer franc jeu, il n’a qu’à convoquer la presse, comme il aime à le faire, et dire : « Je sais que vous mourez de faim, mais après avoir dépensé des dizaines de milliards de votre argent pour réfectionner la Pointe de Sangomare, je me suis offert un nouvel avion. Vous n’y pouvez rien. Je fais ce que je veux. Maa tay. » Mais monsieur se croit plus malin que tout le monde. Vu la situation actuelle, il est obligé de trouver enfin un bateau pour remplacer le Joola avant d’exhiber son nouveau jouet.
Le peuple gronde toujours. Wade annonce 19 mesures pour résoudre les problèmes. Personne n’y croit. Les gens veulent descendre dans les rues. Il décide alors de diminuer les salaires des fonctionnaires, au lieu de les augmenter. L’économiste qui disait que les caisses de l’État sont pleines, a-t-il mal géré ces caisses ? Quelques opportunistes émettent l’idée d’organiser une marche pour soutenir cette insulte aux pauvres sénégalais. Il ne manquait plus que ça. Les syndicats s’opposent à cette « loi ». Le train de vie des dirigeants n’est pas dû à leurs salaires. Aucun salaire ne peut le permettre. Par contre ceux qui ne vivent et ne font vivre leurs familles qu’avec leurs salaires recevraient ces « retenues » comme le coup de grâce. Wade recule, mais c’est trop tard. Il y a déjà des émeutes dans plusieurs villes.
Des jeunes qui avaient voté pour celui qui leur disait de lever la main en leur promettant du travail se jettent aujourd’hui à la mer pour aller tenter leur chance ailleurs. Ces jeunes-là, n’ayant plus rien à perdre, sont prêts à prendre les devants d’une marche, avec leurs mamans.
La journée du 21 novembre 2007 sera à jamais gravée dans la mémoire des Sénégalais. Wade et les siens ont eu chaud. Des marchands ambulants ont franchi le rubicond et se sont révoltés. On pensait que de tels manifestions viendraient des étudiants et élèves, mais pas des marchands ambulants et mendiants qui encombrent les rues de Dakar. On croyait que ces derniers étaient incapables d’organiser plus qu’une « grève des mbáttu ». La surprise fut de taille, le signal fort, le ras-le-bol des populations enfin pris au sérieux. Depuis ce jour-là, Wade est sur ses gardes, tout en essayant de ruser pour que la tempête passe. Ses suppôts sont sur le qui-vive et redoutent un sauve-qui-peut. Ils font tout pour ne pas provoquer le peuple. Le nombre effarant de ministres inutiles est timidement réduit, le chantre de la parité ayant renvoyé quelques femmes au foyer. Même les coupures de courant se font rares. Oui, tant que le peuple restera vigilant et prêt à se défendre, les dirigeants apeurés tâcheront de faire ce pour quoi ils sont élus. C’est bien dommage d’en arriver là, mais les patriotes doivent maintenir la pression sans se laisser divertir par de faux débats.
Wade doit laisser tranquille Macky qui, en plus de ses partisans, a le soutien de tous les patriotes épris de justice, et s’occuper des vrais problèmes des Sénégalais, garder son fils à la maison ou l’obliger à assumer les responsabilités qui lui sont discrétionnairement confiées. Le chanteur Tiken Jah Fakoly, interdit de séjour au pays de la téranga, y a laissé des paroles qui méritent réflexion : « A mon avis le Sénégal est en danger. Comme les Sénégalais, les Ivoiriens aussi se disaient qu'ils étaient des frères et des sœurs, mais on a vu comment les choses se sont passées. Il faut donc faire attention parce qu'on est toujours surpris quand les choses tournent mal. »
Mobutu se prenait presque pour un dieu. Il a suffi d’une mobilisation du peuple derrière Kabila pour le détrôner. Sans violence. En Ukraine, la « révolution orange » fit pacifiquement tomber le régime, le peuple s’étant levé pour exprimer son mécontentement. Dans d’autres pays par contre, il a fallu que le sang coule, à cause de la boulimie de pouvoir des dirigeants. Que Dieu nous en préserve. Le Kenya était un pays stable, nous voyons aujourd’hui ce qui s’y passe.
Reconnaissons-le, le Sénégal est sur une bombe qui n’attend qu’une étincelle pour exploser. Nous ne sommes pas à l’abri de ce qui se passe ailleurs. On dit que les Sénégalais rouspètent puis se résignent, mais attention... Les évènements de 1989 sont encore dans nos mémoires. Si Wade veut que ce pays reste un havre de paix, qu’il accepte les assises nationales que propose le front Siggil Sénégal ou … qu’il démissionne. Nous ne voulons que la paix. Mieux vaut prévenir que guérir.
Bathie Ngoye Thiam