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DOS AU MUR, WADE TENTE DE SAUVER SA MONARCHIE (TEXTE RÉDUIT)

(Wal Fadjri, 07-01-2008)

Wade devrait dire aux Sénégalais : « Tuubi ruubi, deetu ma pasar-pasaree alalu rééw mi. (Pardonnez-moi, je ne vais plus gaspiller les biens du pays.) En 2000, vous m’aviez élu parce que j’avais promis de résoudre vos problèmes. Je n’ai pas tenu promesse. Maintenant, vous en avez marre, vous n’en pouvez plus. Vous êtes fatigués, vous êtes en colère. La situation est devenue explosive. Si j’étais dans l’opposition, j’en aurais profité pour renverser le régime en place. J’ai vidé les caisses de l’État pour entretenir mes laudateurs et acheter les personnes susceptibles de renforcer mon pouvoir. »

Tout a commencé quand le peuple, fatigué du régime socialiste, mit Wade au pouvoir pour « sopi » le Sénégal. Très vite, ce fut la désillusion, la déception. Celui qu’on prenait pour le sauveur se révéla bourreau. Il se débarrassa des artisans de l’alternance et fit appel à ceux dont le peuple ne voulait plus. Si ce n’est pas de la trahison, dites-moi ce que c’est. Tous les opportunistes qui ne croient en rien d’autre qu’à remplir leurs poches ont rejoint le Pds. Madame Mata Sy Diallo a révélé qu’on lui avait proposé un milliard de francs pour qu’elle entre dans les rangs du parti de Wade. Si tous les transhumants n’ont pas reçu une telle somme, beaucoup se sont facilement enrichis et à outrance. Dans une commune de 15 000 habitants, chef-lieu de département, où il n’y a même pas une route goudronnée, où l’eau potable est une denrée rare, où offrir 1000 francs Cfa à quelqu’un est comme lui offrir un million, une femme, ex-membre du parti socialiste, n’a eu qu’à retourner sa robe pour se retrouver ministre sous Wade. Trois ans lui ont suffi pour accumuler une fortune qu’elle ne cache pas. Elle construit ses villas un peu partout dans le pays, s’achète des voitures et en offre, fait réfectionner une mosquée, distribue des liasses de billets de banques et a même des drapeaux de lutte à son nom. Quel salaire peut permettre un tel train de vie ? De pauvres hères avant l’an 2000 circulent aujourd’hui, grâce à l’alternance, dans des 4x4 et ont leurs villas. Comment veut-on que le peuple continue de supporter cela ?

On n’attendait plus que mars 2007 pour déboulonner Abdoulaye Wade comme on l’avait élu. Il n’en fut rien. Pour rester au pouvoir, il lui fallait impérativement gagner au premier tour, et … il fut déclaré vainqueur, au grand damne du peuple consterné. Jusqu’à présent d’aucuns contestent ces résultats et parlent de fraudes et de fichier électoral non fiable. En Afrique, il faut être vraiment démocrate pour organiser des élections et les perdre. Wade a organisé et Wade a gagné. Il a mis la main sur les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Sa mégalomanie prend alors le dessus. C’est l’aubaine pour les courtisans. Wade le visionnaire, Wade le sage, Wade le surhomme. Mais comment se fait-il que des pays qui n’ont pas des chefs d’État aussi géniaux et visionnaires que le nôtre s’en sortent mieux que le Sénégal ? Remplir les ventres de ceux qui ont faim et soigner les malades ne laissent pas de traces durables. Wade veut du solide, du béton. Il lui faut des édifices, des monuments. Une nouvelle capitale s’impose. Il ne veut pas prendre une ville existante comme Diourbel ou Tambacounda. Il veut une ville dont on dira « Abdoulaye Wade l’a fondée en telle année. »

Il a tout mis en place pour régner aussi longtemps qu’il le voudra et faire de son fils son successeur. S’il est encore vivant en 2012, rien ne l’empêchera de réviser la constitution pour brider un nouveau mandat, à l’instar de Paul Biya, son homologue camerounais. Et pour nous imposer Karim comme président, il lui suffit de faire voter une loi pour que ça passe comme une lettre à la poste. Mais cela le mettrait dans la classe des Bokassa, Idi Amin Dada, Eyadema… Heureusement, il tient à son image. Il veut une succession décidée d’avance, mais « démocratique ».

Tous les opportunistes rejoignent la soi-disant génération du concret pour assurer leur part du tong-tong. Pendant que le peuple est gavé de promesses et de mensonges, Wade et les siens ont du concret. Leur bombance est concrète. Maintenant, Karim devant mettre les marabouts de son côté pour dompter les talibés en jouant avec leur foi, je lui conseille d’être encore plus généreux, de commencer ses discours par « bismila » et de chanter quelques « khassida » pour que les « euskeuy ! » fusent de partout. Et le tour sera joué.

Et l’opposition dans tout cela ? Eh bien ! Wade la mène à sa fantaisie. L’exemple le plus frappant date de mars 2007. Avant la proclamation officielle des résultats des élections, Wade prit la parole pour se déclarer vainqueur et menaça de poursuivre ses opposants qu’il accusait d’avoir volé l’argent du peuple, chiffres à l’appui. Ce n’était qu’une ruse pour éviter un soulèvement populaire. Depuis, il n’en a plus jamais parlé. Il serait même en train de préparer un poste de vice-président pour Idrissa Seck qui a, selon lui, détourné des dizaines de milliards dont le pays a grand besoin... Hum… C’est louche et ça fait froid dans le dos…

C’est alors qu’un journaliste se demande « et l’armée dans tout ça », ce qui lui a valu un séjour carcéral.

Des marches sont décidées pour attirer l’attention sur la cherté de la vie, on les interdit, des gens s’expriment, on les met en taule. Mais on n’arrête pas un fleuve avec ses doigts. Wade finit par se rendre compte que le pays est en ébullition, son règne menacé, il lâche alors du leste, mais de la manière la plus incongrue. Lui qui n’était même pas au courant des coupures d’électricité se permet de dire aux Sénégalais d’éviter les gaspillages, leur conseillant de ne pas laisser des lampes allumées dans des pièces inoccupées, même momentanément. Que c’est maladroit ! Il nous demande de serrer la ceinture et quelques jours plus tard il est en Europe avec sa cour pour gaspiller encore de l’argent juste parce qu’il a publié un livre.

S’il veut vraiment restreindre le train de vie de l’État, qu’il supprime les caisses noires dont bon nombre de citoyens n’ont appris l’existence que quand Idrissa Seck a avoué s’en être servi. Dans la même lancée, il peut supprimer le Sénat qui ne sert à rien, dissoudre l’Assemblée qui est tout aussi inutile et avoir le courage d’annoncer ses lois à la télé qu’il chérit tant. Il peut aussi limoger tous ses ministres qui, du premier au dernier, ne font que de la figuration. La meilleure est quand le ministre des Finances, n’ayant pas peur du ridicule, annonce qu’il veut acheter un avion pour son patron, avion qui, nous apprend Souleymane Jules Diop, est acheté depuis plus de cinq mois. Mais monsieur se croit plus malin que tout le monde. Vu la situation actuelle, il est obligé de trouver enfin un bateau pour remplacer le Joola avant d’exhiber son nouveau jouet.

Le peuple gronde toujours. Wade annonce 19 mesures pour résoudre les problèmes. Personne n’y croit. Les gens veulent descendre dans les rues. Il décide alors de diminuer les salaires des fonctionnaires, au lieu de les augmenter. L’économiste qui disait que les caisses de l’État sont pleines, a-t-il mal géré ces caisses ? Le train de vie des dirigeants n’est pas dû à leurs salaires. Wade recule, mais c’est trop tard. Il y a des émeutes dans plusieurs villes. Des jeunes qui avaient voté pour celui qui leur disait de lever la main en leur promettant du travail se jettent aujourd’hui à la mer pour aller tenter leur chance ailleurs. Ces jeunes-là, n’ayant plus rien à perdre, sont prêts à prendre les devants d’une marche, avec leurs mamans.

La journée du 21 novembre 2007 sera à jamais gravée dans la mémoire des Sénégalais. Des marchands ambulants firent trembler Dakar. La surprise fut de taille, le signal fort, le ras-le-bol des populations enfin pris au sérieux. Depuis ce jour-là, Wade est sur ses gardes, tout en essayant de ruser pour que la tempête passe. Le nombre effarant de ministres inutiles est timidement réduit, le chantre de la parité ayant renvoyé quelques femmes au foyer. Même les coupures de courant se font rares. C’est bien dommage d’en arriver là, mais les patriotes doivent maintenir la pression sans se laisser divertir par de faux débats.

Tiken Jah Fakoly, interdit de séjour au pays de la téranga, y a laissé des paroles qui méritent réflexion : « A mon avis le Sénégal est en danger. Comme les Sénégalais, les Ivoiriens aussi se disaient qu'ils étaient des frères et des sœurs, mais on a vu comment les choses se sont passées. Il faut donc faire attention parce qu'on est toujours surpris quand les choses tournent mal. »

Mobutu se prenait presque pour un dieu. Il a suffi d’une mobilisation du peuple derrière Kabila pour le détrôner. Sans violence. En Ukraine, la « révolution orange » fit pacifiquement tomber le régime, le peuple s’étant levé pour exprimer son mécontentement. Dans d’autres pays par contre, il a fallu que le sang coule, à cause de la boulimie de pouvoir des dirigeants. Que Dieu nous en préserve. Le Kenya était un pays stable, nous voyons aujourd’hui ce qui s’y passe.

Reconnaissons-le, le Sénégal est sur une bombe qui n’attend qu’une étincelle pour exploser. Nous ne sommes pas à l’abri de ce qui se passe ailleurs. On dit que les Sénégalais rouspètent puis se résignent, mais attention... Les évènements de 1989 sont encore dans nos mémoires. Si Wade veut que ce pays reste un havre de paix, qu’il accepte les assises nationales que propose le front Siggil Sénégal ou … qu’il démissionne. Nous ne voulons que la paix. Mieux vaut prévenir que guérir.

Bathie Ngoye Thiam


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