(Wal Fadjri, 21 mai 2007)
Les Sénégalais sont tellement blasés qu’ils ne s’offusquent même pas de voir le Président de la République, le démocrate que le monde tout entier décore et applaudit, piétiner la loi selon laquelle il ne doit pas se mêler de la campagne électorale des législatives. Maître Wade a encore frappé. Et de quelle manière ! Il a subtilement impliqué dans l’affaire le khalife général des mourides qui a derrière lui des millions de Sénégalais, donc des millions de voix.
Le chef de l’État et sa suite ont débuté la campagne par une visite au fief du mouridisme pour le démarrage des « chantiers de Touba » et… pour recevoir des prières. Visite fort médiatisée. Il faut que tous les taalibe sachent que Serigne Saliou a prié pour que Macky Sall gagne. Cela revient à leur dire : « Votre marabout est de notre côte, donc vous savez ce qu’il vous reste à faire. » Il est évident qu’Un (je ne généralise pas) mouride fanatique, osons appeler les choses par leurs noms, hésitera avant de voter pour un candidat autre que celui pour qui son marabout, son espoir ici-bas et dans l’au-delà, a prié. Et ce sont justement ces quelques-uns qui sont visés.
Une question se pose alors : Est-ce que Wade et sa délégation cherchaient les prières du Khalife ou leur médiatisation ? On peut même se demander s’ils croient vraiment en ces prières.
Quand on leur parle de la hausse des denrées de première nécessité qui fatigue les populations, ils répondent qu’ils n’y peuvent rien, puisque c’est la communauté internationale qui décide. (Signalons au passage que le prix de l’huile a encore augmenté sans que les Sénégalais en soient informés.) Pourquoi donc ne demandent-ils pas au khalife de prier pour que la communauté internationale et le secteur privé n’augmentent pas les prix ? Pourquoi ne lui demandent-ils pas de prier pour que cesse le brouillard (humidité) qui provoque les coupures d’électricité, pour qu’il n’y ait plus d’inondations nécessitant des plans Jaxaay ou autres qui ne soulagent guère la plupart des sinistrés mais feraient l’affaire des promoteurs immobiliers, et j’en passe et des meilleurs ? Non, ils veulent des prières médiatisées pour gagner les élections et annoncent 100 milliards de francs pour faire de Touba la ville du futur. Quelle belle synchronisation ! Qui dit mieux ? Vive Wade, waay !
Le khalife est utilisé à des fins politiques. Le sait-il ? On se souvient que d’aucuns s’étaient même permis de l’inscrire comme candidat sur une liste électorale.
Dieu n’a pas besoin des médiats pour entendre les prières. Il ne s’agit pas de dénigrer les marabouts, mais de se poser des questions sur leurs rapports avec les hommes politiques qui les jaugent en termes de voix. On dirait qu’il suffit de combler les marabouts de dons pour que le peuple se taise, qu’ils aient le ventre plein pour que les taalibe oublient leur faim et la misère dans laquelle ils croupissent.
Certains guides religieux jouent ouvertement le jeu. Chefs de partis ou soutenant une mouvance, ils tiennent parfois des propos qui nous laissent pantois. Nous avons entendu Béthio Thioune déclarer avoir quatre millions de taalibe et prédire la victoire de Wade. Son candidat, bien que réélu, a été battu à plate couture à Thiès, malgré le méga meeting qui y fut organisé. Ce même Cheikh s’est permis de dire que celui qui n’est pas capable d’avoir la somme de 300 000 francs (à lui donner) avant telle date, n’est pas son taalibe. Les ignorants comme moi s’attendaient plutôt à l’entendre dire par exemple : « Celui qui n’est pas capable de prier 100 rakkas par nuit n’est pas mon taalibe. »
La meilleure cependant nous vient de Modou Diagne Fada qui, affichant son ambition personnelle de devenir le Premier ministre de Wade, nous fait tomber des nues : « …par conséquent, logiquement si Abdoulaye Wade, taalibe de Serigne Saliou Mbacké est président alors Fada de Borom Darou doit être son second, comme Mame Thierno a été le collaborateur le plus immédiat de Serigne Bamba. » Faut-il en rire ou en pleurer ? Et il va plus loin en promettant de résoudre les problèmes d’eau dans la ville sainte de Touba. Quelle démagogie ! Et les autres villes où le liquide précieux est presque introuvable ? Ce n’est quand même pas étonnant de sa part, lui qui, démis de sa fonction de ministre, était allé se plaindre auprès des marabouts. En tout cas, il poursuit ses « visites de courtoisie » aux guides religieux, ce qui a donné au marabout Serigne Mbaye Sy Mansour, connu pour son franc-parler, l’occasion de lui tenir un discours qui mérite réflexion.
« (Serigne Mbaye Sy Mansour) a surtout appelé les hommes politiques à militer par conviction et non par pur intérêt. (Il) a également dénoncé l’attitude de certains marabouts qui seraient à l’origine de tous les maux vécus par les populations. Il estime qu’une jonction entre le temporel et le spirituel ne devrait se faire que pour le bénéfice des populations. » (Le Soleil. 16 mai 2007)
Bathie Ngoye Thiam