(Wal Fadjiri, 28 novembre 2006.)
Comment Sarko a-t-il si facilement mis Wade dans sa poche ? D’aucuns
disent qu’il l’a trompé en jouant avec les mots. Je ne
suis pas de cet avis. Buur-Sénégal n’est certes ni agrégé
en grammaire ni membre de l’Académie française, mais on
peut pas le rouler dans la farine en remplaçant "choisie"
par "concertée".
Si tout s’était passé en Afrique, on aurait tendance à
croire que Nicolas Sarkozy, ministre français de l’Intérieur
et candidat à la candidature, a marabouté notre cher président
de la République. Mais à quoi bon payer des charlatans quand
il suffit de flatter pour obtenir ce qu’on veut ? Le descendant d’immigrés
roumains en France a juste touché le talon d’Achille de notre
cher président. Tout le monde sait, ce qui n'est pas flatteur pour
notre pays, que Wade adore les compliments, les prix, les honneurs, en un
mot, la flatterie. Il se plait à être pris pour une espèce
de dieu sur terre, monsieur sait tout, peut tout, l'omniscient, l'omnipotent.
Dans son royaume, les ministères ne sont présents que pour la
forme. Monsieur s'occupe de tout, décide ce qu'il veut, quand il veut.
Quinconque veut bénéficier de ses faveurs n'a qu'à le
qualifier de savant, de sage, de visionnaire, de généreux...
On l' entend, lui-même, rapporter souvent et fièrement : "Tel
chef d'Etat m'a félicité quand j'ai dit ceci ou fait cela."
Il avait même déclaré qu'il serait prêt à
quitter le pouvoir et se contenter de donner des conseils à son successeur.
Qui dit mieux ? Monsieur n'a vraiment pas d'alter ego. Est-ce que Diouf lui
dit comment diriger le pays ? Ou faut-il qu'il lègue la monarchie à
un de ses "fils" ? En tout cas, ce n'était pas tombé
dans l'oreille d'un sourd, car Saa-Idy, qui lisait dans les pensées
du "maître" et s'impatientait d'accéder au trône,
criait sur les toits qu'il était le jardinier du "sage".
Il jouait si bien sa partition qu'on lui avait confié cet argent du
contribuable joliment appelé "fonds politiques"...
Mais revenons à l'affaire Wade-Chirac. Pardon, je voulais dire Wade-Sarko,
car contrairement à nos ministrons ou mini-ministres, Sarko prend ses
décisons, même si elles laissent souvent à désirer,
et en assume l'entière responsabilité. Il ne commence pas ses
discours par des phrases du style "conformément à la vision
de son exellence le Président Jacques Chirac..." On s'attendait
à ce qu' il s'adresse au ministre sénégalais des Affaires
étrangères ou à celui des Sénégalais de
l'extérieur (qui ne sert d'ailleurs à rien, contrairement aux
attentes. Mais on vient de le virer et son remplaçant n'a que trois
mois pour faire ses preuves ou se remplir les poches.) ou à son homologue,
comme il l'aurait sans doute fait s'il s'agissait de ressortissants américains,
anglais, allemands, etc. Hélas, non. On ne perd pas de temps avec les
valets quand on veut faire signer un "accord historique" à
un roi si accessible et si manipulable.
Les péripéties de cet accord doivent rester gravées
dans nos archives.
Sarko se prononçait pour une immigration choisie, reprenant ainsi Charles
Pasqua qui disait : "Les lois Pasqua disent une chose et une seule :
la France a le droit d’accueillir sur son territoire qui elle veut et
non plus qui le veut." Et la France veut des cadres et non des Modou-Modou.
Me Abdoulaye Wade s’était alors opposé à cette
politique qui "priverait les pays africains de leurs jeunes diplômés."
Il trouvait le concept de l'immigration choisie inacceptable. "Ce n’est
pas honnête de vouloir nous prendre nos meilleurs fils, disait-il. M.
Sarkozy peut avoir la politique qu’il veut. Mais ce n’est pas
honnête de vouloir prendre nos diplômés, alors que JE dépense
beaucoup d’argent pour les former. JE consacre 40% de mon budget à
l’éducation et JE ne veux pas que les ingénieurs, les
jeunes qualifiés s’en aillent." Ou encore : "J'estime
que ceux que JE forme, on doit ME les laisser. Il faut que JE rentre quand
même dans MON argent, JE ne forme pas des hommes pour qu'ils viennent
développer la France." L’Afrique toute entière avait
applaudi. Sarko avait rétorqué : "Je respecte beaucoup
le Président Wade, mais ce n’est pas moi qui vais m’occuper
de la politique d’émigration au Sénégal. Je veux
lui dire que ce n'est pas moi qui définis les conditions d'immigration
au Sénégal, ce n'est pas lui non plus qui définit les
conditions d'immigration en France". Mais au fond de lui-même,
il devait reconnaître que le "vieux" avait raison. Il devait
se dire : "Si les autres chefs d’Etat africains réagissent
comme lui, je suis foutu." Rappelons qu’il avait été
hué au Mali et au Bénin où il tentait de faire accepter
son projet. Il avait alors demandé à rencontrer Me Wade. Ce
dernier était resté sur sa position tout en rajoutant : "Mais
si on laisse les mots de côté, je suis sûr qu’il
y a moyen de s’entendre."
L’ambitieux ministre français devait donc changer de tactique. Faisant sans doute partie de ceux qui se rient de notre république bananière, il avait juste changé son fusil d’épaule pour embobiner le maître du « Je » dans son propre jeu. la veille de son départ pour Dakar, quand je l' ai vu annoncer à la télé qu'il allait rencontrer le Président Wade pour signer un accord, je me suis écrié : "O ciel ! Il a trouvé le point faible. Wade signera tout ce qui lui sera proposé." Il faut dire que je n'ai jamais entendu Sarko si thuriféraire. Quand on veut pousser un enfant à faire quelque chose, on commence souvent par le flatter. "Ils" nous prennent pour des enfants, et si nous ne le sommes pas, bon nombre de nos dirigeants se comportent comme tels, tellement leurs egos sont immenses. A Dakar aussi, Sarko n'a pas loupé une occasion de parler du "sage", de " l'universitaire", de " l'homme d'expérience" et j'en passe et des meilleurs. Apparemment Wade n'a retenu que ces "flatteries" et a donné l'ordre de signer "l'accord historique".
Signalons quand même que le Président, "dans sa vision",
voulait que les deux pays, la France et le Sénégal, discutent
pour arriver à une conception commune de l'immigration... Sarko ne
lui en a hélas pas laissé le temps. Wade avait aussi la noble
idée de créer des emplois au Sénégal pour dissuader
nos jeunes de partir. Mais pour Sarko, l'essentiel est de reforcer les contrôles
de nos frontières et de laisser le "vieux" REVAsser de son
agriculture biologique. Il avait néanmoins promis un peu d'argent qui,
de toute façon, était destiné au Sénégal,
d'après Ségolène Royal.
L'émigration dont le Sénégal a besoin, en attendant que
la situation s'améliore, est celle des Modou-Modou qui, ne trouvant
rien sur place, vont chercher ailleurs de quoi s'en sortir et soutenir leurs
familles. Celle qui lui est néfaste est la fuite de ses "cerveaux".
Mais en flattant l'ego de Buur-Sénégal, Sarko a obtenu qu'on
fasse tout pour séquestrer les Modou-Modou dans leur misère
et faciliter le départ des cadres et futurs cadres. Et à Wade,
il ne reste plus qu'à crier que "le devoir normal de tous ces
gens qui se sont formés à l'étranger, c'est de retourner
dans leur pays." Croyez-moi, monsieur le Président, ils ne veulent
que cela, pourvu qu'ils y trouvent du travail et des salaires décents,
comme le Prince Karim.
En bon renard, Sarko lui a répondu : "Mais bien sûr, monsieur
du corbeau, vous avez raison. Je suis entièrement d'accord avec vous.
Je ne veux plus qu'il y ait plus de médecins africains en France qu'en
Afrique... C'est un malentendu, voyons ! Il est fondamental, pour nos deux
pays, de lutter contre le pillage des cerveaux, la fuite des compétences
et des talents du Sénégal, en facilitant une migration de mobilité,
permettant à des étudiants, à des professionnels de tout
niveau, de venir en France se former dans la perspective de revenir au bercail
pour participer au développement de leur pays... A quoi sert-il de
former des élites africaines si ces élites mettent ensuite leurs
compétences au service du développement du pays qui les a formées
et non pas du pays qui est le leur ?" Et que propose-t-il ? La France
va privilégier l'arrivée des étudiants et des travailleurs
qualifiés sur son territoire. Aux étudiants, il sera même
facilité l'obtention d'un premier emploi. Pourquoi donc retourner au
Sénégal ? Quant aux travailleurs qualifiés, ne me dites
pas qu’on leur ouvre la porte pour qu’ils aillent faire du tourisme
en France. Il ne s'agit de rien d'autre que d'une émigration choisie
par la France et acceptée par le Sénégal.
Le père Wade, ne manquant pas d'idées, déclare : "Désormais, JE veux faire signer des engagements décennaux aux étudiants sénégalais qui auront ainsi l’obligation de revenir travailler pendant dix ans au Sénégal. Et je demanderai à la France de les appliquer." C'est bien beau, mais il aurait fallu l'inclure dans les accords en des termes bien clairs. Sarko devrait s'engager à faire écrire sur les titres de séjour de ces Sénégalais qu'ils n'ont pas le droit de travailler en France, à faire voter une loi sanctionnant quiconque les embauche et ne pas leur accorder la nationalité française, même après mariage avec des autochtones, tant qu' ils n'auront pas servi leur pays pendant au moins une dizaine d'années après leurs études. Qui a entendu Sarko tenir un tel discours ? Pas moi. Il a plutôt annoncer un accord de réadmission devant permettre l’expulsion mutuelle de Sénégalais ou de Français "qui se comportent mal" ou "qui n’ont pas papiers". Quand on sait que les Français n'ont pas besoin de visas pour venir chez nous, on ne peut que secouer tristement la tête. Et puis, qui va-t-on expulser ? Deux vieux pédophiles et une journaliste qui en dit trop, alors que nos jeunes seront refoulés par milliers ? Bonjour, la parité !
Il est évident qu’un accord approuvé par Jean-Marie Lepen ne peut pas être salutaire aux nègres d’Afrique. Le Sénégal est perdant sur toute la longueur, mais le Président peut se réjouir d'avoir signé un "accord historique". Pourquoi ? Son ego flatté y est sans doute pour quelque chose. Il serait capable de vendre le pays sans s'en rendre compte, tant que les félicitations fusent de partout. A se demander s'il a des conseillers. S'il y a dans son entourage des gens intelligents qui lui disent la vérité, ils doivent se compter sur les doigts d'une main. Monsieur préfère les bons élèves qui obeïssent aux maître et les laudateurs qui lui disent qu'il est un grand homme, un sage, un visionnaire, etc. Et le pire est qu'il y croit. On ne peut s'empêcher de sourire quand on l'entend dire : «Si le Parti socialiste (Ps) qui ne faisait rien remportait les élections, pourquoi MOI, JE ne remporterais pas les élections. Surtout que J'AI beaucoup fait et J'AI un bilan à présenter aux Sénégalais le moment venu.» On pourrait comprendre s'il se comparait à Senghor et Diouf ou s'il comparait le Pds au Ps, mais là... Ce n'est pas pour rien que ses journalistes s'empressent de le nommer "le seul vrai boroom rééw mi"...
Comme Sarko a flatté pour avoir ce qu'il voulait, Bush, pour ne pas
être en reste, passe un coup de fil à Gorgui. Le Soleil, quotidien
national, avait titré, il y a quelques semaines de cela : " FÉLICITÉ
PAR GEORGE BUSH : Me Wade prend l’initiative d’un Comité
de sages pour le Darfour." Mon Dieu ! Même ses partisans de la
Cap 21 devaient en rire sous cape. Si l’on n’y prend garde, l'on
aura bientôt droit au Cercle des visionnaires. Cercle restreint, bien
entendu, car des visionnaires comme lui, il n’y en a pas deux au monde
à part, peut-être, Saa-Njublang qui, lui, a déjà
sa carte de membre du Club des messies rupins devenus riches grâce à
l’argent des pauvres qu’ils prétendent sortir de la misère.
" Tel père, tel fils", dit l'adage.
Bathie Ngoye Thiam