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UN PRESIDENT RICHE, JEUNE ET BEAU

(L’Observateur, 07-09-2006)

Garder le pouvoir à tout prix. Qui pouvait s’attendre à cela de la part de quelqu’un qui se disait démocrate depuis des lustres et qui avait été démocratiquement élu ? Youssou Ndour chantait : « Nit ku ñuul, dafa bëgg nguur. » (L’homme noir aime le pouvoir.) L’Afrique est le continent des présidents à vie ou qui font tout pour l’être. Seuls les coups d’État faisaient partir les présidents récalcitrants et apportaient des changements de régimes dans bon nombre de pays. Le Sénégal est une des rares exceptions à ce cas.
Le monde entier a salué en 2000 l’avènement du parti « DEMOCRATIQUE » au pouvoir. Qui n’a pas cru au « sopi » ? Tous les rêves étaient permis mais on a vite déchanté. Il n’y a pas de démocratie au Sénégal. Un seul homme décide ce qu’il veut, quand il veut, comme il veut. Certaines lois à l’assemblée portent sa griffe, les ministres ne sont que des hommes de paille, rien ne se fait sans l’aval du roi à qui le pays semble appartenir. Cela est connu de tous.
Certains n’arrêtent pas de dire : « Laissez Gorgui travailler », mais s’il travaillait vraiment pour le pays, sa réélection serait le cadet de ses soucis. Tel n’est hélas pas le cas. Après le couplage des élections, une rumeur faisait croire qu’il n’y aurait pas de deuxième tour. Etait-ce un ballon de sonde pour prendre le pouls de l’opinion ? Le plan Jaxaay, on le sait, n’a été qu’un prétexte. Bien avant les inondations, l’idée de coupler les élections avait été émise. Il y a des milliers et des milliers de « sinistrés » à travers le pays, mais on dirait qu’on ne pense aux pauvres citoyens que quand leurs malheurs peuvent servir d’excuse pour faire passer la pilule. Au point où nous en sommes, autant voter une loi qui ferait de Wade un président à vie comme l’a suggéré Khadafi. Cela aurait au moins le mérite d’être clair. Si le plan Jaxaay a permis de coupler les élections, un « plan naatange pour tous » devrait faire l’affaire, surtout s’il est accompagné de discours du style « Devant les difficultés que rencontre le Sénégalais lambda, son excellence maître Abdoulaye Wade, dans sa sagesse et sa magnanimité, trouve qu’on ne peut pas dépenser autant de millions, autant de milliards, pour organiser des élections… » Du même coup, on supprimerait cette mascarade qu’est l’Assemblée nationale.
Les dernières nouvelles font état de l’augmentation de 500% du cautionnement obligatoire des partis pour les élections. 25 000 000 de Francs Cfa ne sont assurément pas à la portée de tout le monde, or il y a sans doute des candidats honnêtes et compétents qui n’ont pas cette somme, mais qui peuvent peut-être sortir le pays du gouffre dans lequel il se trouve. Des gens proches du peuple, qui sentent le besoin de s’impliquer politiquement pour ne pas laisser le destin du pays entre des mains inappropriées. Disons-le, une bonne partie de la population en a marre de ces politiciens professionnels qui ont eu des responsabilités et n’ont montré que leur incapacité à gérer les affaires du pays. La politique est leur gagne pain. C’est l’argent du contribuable qui les entretient. Ils forment un cercle de complices qui tantôt s’unissent tantôt se font la guéguerre. Selon leurs intérêts personnels, ils voltigent d’un parti à un autre. Aucune conviction. Il y en a qu’on a vu sous Senghor, puis sous Diouf et ensuite sous Wade.
Toutes les révoltes, les révolutions, les soulèvements populaires sont nés quand les gens ont eu ras-le-bol de voir s’éterniser au pouvoir des dirigeants dont la seule préoccupation était leurs poches et les manières de les remplir, qui s’enrichissaient à vue d’œil et laissaient le peuple croupir dans la misère. Toujours, dans ces pays, se sont élevés du peuple, des voix pour dire : « Assez ! Cela suffit ! Les choses ne peuvent pas continuer ainsi ! Il nous faut un vrai changement ! » C’est d’ailleurs ainsi que Wade avait gagné la confiance des Sénégalais qui voyaient en lui le sauveur envoyé par la Providence. Serait-il au pouvoir si Diouf avait, du jour au lendemain, à six mois des élections, augmenté le cautionnement de 500% ? Tout ce qu’on sait est qu’à l’époque il ne roulait pas sur l’or. Idy, dans son CD « Lui et Moi », nous apprend que lorsque Wade a été élu, sa première satisfaction a été de savoir que désormais ses problèmes d’argent étaient résolus. Lui, le guide éclairé, qui n’avait pas 40 millions en 2000, doit donc savoir qu’on n’a pas besoin d’être riche pour aimer son pays et le servir loyalement.
Il est clair que le but de cette augmentation immodérée du cautionnement est d’éliminer des candidats bien précis. C’est une fraude électorale avant l’heure et légalisée. Le président tchadien s’est fait réélire après avoir écarté de la compétition tous ses concurrents. Il risque de faire des émules…
Pour justifier cette décision anticonstitutionnelle, trois raisons assez bancales sont avancées :
1 - On nous dit que c’est pour ne pas gaspiller l’argent du contribuable. De qui se moque-t-on ? Quand on pense aux sommes faramineuses dépensées pour accueillir Wade quand il rentre de voyage ou quand il reçoit des prix, on est tenté de pleurer. Mieux vaut les dépenser pour donner au peuple la possibilité de choisir ses dirigeants.
2 - Il y a trop de partis. Ça, nul n’en disconvient, mais n’est-ce pas aberrant de les laisser se créer pour ensuite leur barrer la route ? Il faut certes réduire le nombre, mais l’argent n’est pas un bon critère. On ne peut pas bloquer des candidats parce qu’ils ne sont pas riches.
3 - On nous dit que « celui qui veut diriger un pays doit être à la hauteur de ses ambitions. » Je ne vois pas ce que l’argent vient y faire, mais ceux qui soutiennent cet argument, soi-disant pour la bonne gouvernance, doivent aussi exiger qu’il y ait une limite d’âge. Il serait plus raisonnable d’écarter les enfants et les vieillards que de n’accepter que ceux qui ont une fortune dont on aimerait, dans bien des cas, connaître la provenance vu que les riches candidats ont presque tous été membres de tel ou tel gouvernement. Et si l’on suit ce raisonnement, on pourrait rajouter que le président doit avoir un physique qui donne une belle image de notre pays. Donc : riche, jeune et beau. Ne serait-ce pas ridicule ?
N’eût-il pas été mieux de respecter le calendrier électoral au lieu de prolonger le mandat des députés sans le consentement des électeurs ?
Pou éviter les « candidatures fantaisistes », il faudrait, à mon humble avis, que chaque candidat soit désigné par son parti - s’il n’en a pas qu’il en crée un. Après les législatives, on disqualifie des présidentielles tous ceux qui n’ont pas un certain pourcentage des voix. Ce serait nettement plus démocratique, plus juste et plus transparent. Talla Sylla parle de 10 mille signatures, mais cela ferait bien l’affaire de tout riche politicien. A raison de 500 francs la signature, on n’aurait besoin que de 5 millions de francs. Des gens sont payés pour aller applaudir, chanter et danser, qu’est-ce qui les empêcherait d’être payés pour signer ? Certains en feraient même leur source de revenus : ainsi naîtrait le business des signatures.
La « démocratie de l’argent » n’est qu’une dictature qui ne nous honore pas. Revoyons le code électoral et surtout, n’oublions pas qu’en définitive ce sera au peuple et à lui seul de décider.

Bathie Ngoye Thiam



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