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EMIGRATION : WADE, EST-IL RESPONSABLE ?

(11-06-2006)

L’émigration ne date pas d’aujourd’hui. Déjà dans les années 70 et sans doute bien avant, on entendait de jeunes Sénégalais dire : « La France ou la mort. » Wade n’y était pour rien. Des Africains se cachaient dans les cales des bateaux pour se rendre en Occident. D’autres traversaient le désert à pied pour aller gagner leur vie ailleurs. Il y avait des morts aussi. Seulement, le phénomène a pris de l’ampleur ces dernières années et surtout une bien triste et bien déplorable tournure. Les « pirogues dem dee » (aller mourir) sont là pour en témoigner.

Le chômage en est une cause, mais ce n’est pas Wade qui l’a amené au pays. Il l’a trouvé sur place et s’en est même servi lors de sa campagne électorale en disant : « Que ceux qui n’ont pas de travail lèvent la main ! » Vous souvenez-vous des maîtrisards vendeurs de pain ? C’était sous le régime socialiste.

La rareté des poissons, Wade n’en est pas l’auteur non plus. Dans les années 80, les observateurs s’inquiétaient en voyant tous ces bateaux de pêche super équipés, qui raclent le fond de la mer, venir s’approvisionner chez nous.

Et puis, il y a le mirage que Wade n’a pas inventé. D’ailleurs, ce n’est mirage qu’à moitié. Les « Saareen » savent que le pain est plus abondant en Occident où un balayeur de rue gagne le salaire d’un cadre en Afrique.

La responsabilité de Wade est d’avoir brisé le rêve du peuple sénégalais. « Tas yaakaar ». Tous ceux qui croyaient que l’alternance allait résoudre les problèmes du pays sont aujourd’hui déçus. Les jeunes n’ont plus d’espoir. Eux qui se sont battus corps et âme pour le « sopi » et à qui on avait promis du travail, se rendent compte que seuls les proches et partisans de Wade bénéficient des fruits de leur combat. Oui, Karim a un bon boulot et aurait même plus de pouvoir qu’un ministre, pendant que Sindiély se la coulerait douce comme conseillère à la présidence. (Que faut-il comme qualités et qualifications pour être conseiller du président de la République ? J’en connais plein qui voudraient bien postuler.) Ces jeunes, qui ont du mal à se payer un petit-déjeuner, sont dégoûtés quand ils voient le roi offrir des dizaines, voire des centaines de millions comme bon lui semble. Ils sont dégoûtés quand ils entendent des histoires de pots-de-vin par-ci par-là, quand ils voient un individu accusé d’avoir volé des milliards déposer sa candidature pour la magistrature suprême et avoir le soutien d’une partie de la population, comme si de rien n’était.

Que leur propose Wade ? Le plan REVA. Ha ! Ha ! Laissez-moi rire. Quand on voit la misère dans laquelle vivent nos paysans qui n’arrivent même pas à vendre leurs maigres récoltes, comment peut-on dire aux jeunes de devenir agriculteurs ? Pour que le plan REVA marche, il faudrait d’abord aider nos pauvres cultivateurs jusqu’à ce qu’ils s’en sortent. Le jour où les paysans seront milliardaires, ce sera la ruée vers l’agriculture. Mais ce n’est hélas pas demain la veille. Il fut un temps où les parents interdisaient à leurs enfants de faire de la musique et de jouer au football, mais depuis que Youssou Ndour et El Hadj Diouf ont fait miroiter leur réussite, cette « tradition » est révolue. Actuellement la jeunesse déçue et désœuvrée n’a plus que l’émigration comme lueur d’espoir. Le chômeur qui quitte le pays revient deux ou trois ans plus tard pour construire une maison, épouser une jolie femme, acheter une belle voiture et emmener au moins un de ses parents à la Mecque. Regardez autour de vous. A chaque fois qu’il y a une maison en construction, le propriétaire est presque toujours un émigré. Et avec ça on ose dire aux jeunes ambitieux d’aller cultiver du « manioc » au Boal ou au Saloum… « Li mbëtt bëgg la bar bëgg. » Vous pouvez leur montrer les photos des cadavres, leur dire que l’Europe n’est pas l’eldorado, ils partiront toujours. C’est comme au loto, on ne voit pas les perdants mais les gagnants. Montrez-leur plutôt des gens de leur classe sociale qui ont réussi sans jamais avoir quitté le pays. Il n’y a donc qu’un seul remède : aider les Sénégalais à réussir dans leur pays.

Aliou Sow, apparemment déconnecté des dures réalités du peuple depuis qu’il est nommé ministre de la Jeunesse en choque plus d’un en déclarant : « Il est malhonnête de dire que les jeunes partent parce qu'il n'y a pas d'emplois au Sénégal. » J’imagine la honte de ses proches après son lamentable passage à l’émission « Grands débats de l'info ». Pendant qu’on parle des milliards de francs engloutis par le Fonds national de promotion de la jeunesse (Fnpj), entre autres, il se permet de déclarer qu’on ne peut pas dire que quelqu'un qui a un million et qui paie un passeur pour aller en Europe est pauvre. Il ferait mieux de se taire ou d’expliquer aux jeunes où passe tout cet argent qui est dépensé en leur nom. Là, Wade est responsable. Il s’est bien gouré en pensant qu’il faut nommer un jeune à ce poste. Il aurait pu aussi nommer un enfant responsable de « la case des tout-petits », pendant qu’on y est. Au Sénégal, tout est à l’envers. Il paraît que c’est un berger qui s’occupe de la pêche, et les pirogues sont donc devenues nomades. Il paraît aussi que nous avons un ministère des Sénégalais de l’extérieur qui ne sert absolument à rien. Des dépenses inutiles pour payer des gens à ne rien faire. Quant au ministre des Affaires étrangères, qui hier voulait signer un accord avec la Suisse pour que tout Africain indésirable soit refoulé vers Dakar, il semble avoir bien appris sa leçon en se précipitant aujourd’hui pour annoncer qu’aucun accord de rapatriement n’est signé avec l’Espagne. Disons pour l’instant.

Pour ce qui est de « l’immigration choisie », Wade avait bien répondu à Sarko, mais tout s’est gâché quand le maître du « je » est entré en scène. « Les immigrés que veut Sarkozy sont les hommes qu'il ME faut pour construire MON pays », « JE dépense beaucoup d'argent pour les former. JE consacre 40 % de MON budget à l'éducation », « JE ne créerai pas des emplois au Sénégal si les gens sont invités à émigrer. » Un peu de modestie, Me Wade ! Vous n’êtes pas le Sénégal, mais juste son troisième président. Si vous voulez que les médecins restent au pays, équipez d’abord convenablement le peu d’hôpitaux dont nous disposons et construisez des dispensaires dans nos villages où les femmes meurent en accouchant faute de soins nécessaires. Et si vous-même vous allez en France juste pour le traitement d’une cataracte, et laissez le gouvernement gaspiller 20 millions pour fêter votre retour, sans parler des centaines de millions lors du prix Houphouët Boigny, je ne crois pas que vous donnez le bon exemple.
Cela dit, l’émigration ne touche pas que l’Afrique… et Wade n’en est pas responsable.

Bathie Ngoye Thiam



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