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Serigne Modou Bousso Dieng, jërëjëf !

(Wal Fadjri, 09 mai 2006)

Depuis quelques années, des chefs religieux ont des milices qui font la pluie et le beau temps. Elles bloquent la circulation, attaquent des journalistes, saccagent et sèment la terreur à chaque fois que quelqu’un ose critiquer leurs guides. Heureusement, il y a encore des marabouts comme Serigne Modou Bousso Dieng, président du Collectif des jeunes chefs religieux du Sénégal, qui n’ont pas peur de dire la vérité pour éclairer les disciples au lieu de les laisser dans les ténèbres de l’ignorance où ils sont facilement manipulables. Il dit de ces chefs religieux : « Ce sont des individus qui ne cherchent que leurs intérêts. Ils utilisent leurs disciples pour s’alimenter et se remplir les poches. »

Disons-le: tout marabout qui, parce qu’attiré par les millions des lutteurs ou pour d’autres raisons, décide d’affronter les Tapha Guèye, Tyson, Yekini et autres, doit accepter les règles du jeu. Il ne peut pas dire à ses adversaires : « Si vous me donnez des coups ou me faites tomber, attendez-vous à la riposte de mes talibés. » En politique, c’est comme à la lutte : on donne des coups et on en reçoit. Tout citoyen, qu’il soit administrateur civil ou chef religieux, qui descend dans cette arène doit s’attendre à ce que l’on commente ses déclarations, à ce qu’on le contredise, à ce qu’on le démente et surtout à des « attaques » en bonne et due forme dans cet État de droit qu’est le Sénégal. Tout marabout qui s’y aventure doit donner un « ndigël » clair et net à tous ses talibés, du style : « Quiconque fait de la politique a des partisans et des opposants. Si vous avez des arguments autres que la violence, vous pouvez répondre à mes détracteurs, mais je n’ai donné à personne l’ordre d’agresser mes détracteurs. Jamais je ne cautionnerai de tels actes… »

Le citoyen et marabout Béthio Thioune est entré dans l’arène politique avec des menaces à peine voilées : « Que les gens qui pourraient m'adresser des propos orduriers prennent leurs responsabilités ! Je ne serai pas comptable de ce qu'ils feront avec mes talibés. » Ou : « Que ceux qui m'insultent sachent en répondre devant mes talibés ! » Ou encore : « Ceux qui, maintenant, auraient prononcé des mots insultants à mon égard, s’ils se heurtent à mes talibés, je ne pourrai pas les contrôler. » C’est comme si Wade disait : « celui qui me critique doit s’attendre à une descente de la Dic. » Ey waaya ndaw ! Nous irons loin comme ça.
Serigne Modou Bousso Dieng dit à ce propos : « Dans ce cas, tout le tort revient au marabout-politicien qui utilise des disciples pour ses ambitions personnelles. Une seule chose est sûre actuellement : seuls les fils de Serigne Touba sont et restent les vrais marabouts (mourides). Tous les autres sont impliqués dans la politique et cela est un mélange qui ne doit pas se faire. Il faut éviter de mêler les affaires de Khadimou Rassoul à la politique. C’est très grave et il vaut mieux l’éviter. Car, c’est une catastrophe. Moi, je m’oppose à toute agression contre un journaliste et contre qui que ce soit. »

On peut comprendre qu’un marabout chef de parti dise à ses talibés de voter pour lui… quoique… Mais si un guide religieux, intellectuel de surcroît, dit qu’il va donner les voix de ses talibés à tel ou tel candidat, il doit clairement leur expliquer pourquoi. Si c’est pour son intérêt personnel ou si c’est pour le bien de la religion, les disciples ont le droit de le savoir sinon on tombe dans l’obscurantisme qui ne fait pas honneur à l’islam.
Si Wade était un prophète, ce serait compréhensible qu’un mara donne à ses « taalibe » le « ndigël » de voter pour lui. Mais si c’est juste pour son appartenance à telle confrérie ou ses affinités avec tel guide religieux, c’est grave. La porte serait alors ouverte aux partis « confrériques ». Le candidat des mourides, le candidat des tidianes et ainsi de suite, jusqu’à en arriver à ce qui se passe en Irak où chiites et sunnites s’entretuent pour un oui ou pour un non. Que Dieu nous en préserve ! Si nos marabouts n’arrivent même pas à s’entendre sur les questions religieuses, ce qui a donné naissance à la tradition des trois korité, leur descente dans l’arène politique risque de faire sombrer le pays dans le chaos.

Cheikh Béthio déclare, en parlant de Wade : « …c'est son allégeance à Serigne Saliou Mbacké qui motive ma sympathie pour lui. Le fait qu'il s'agenouille devant le khalife général des mourides force mon respect et mon admiration envers sa personne. Je déclare devant la face du monde que je réélirai Me Wade lors de la prochaine élection présidentielle. » Eh bien ! Est-ce Dieu qui parle ? Certains marabouts avaient prédit la victoire de Diouf en 2000. On connaît la suite.

Chaque citoyen doit voter pour le candidat de son choix. Que celui qui veut se servir de la religion pour faire comme si les hommes lui appartenaient s’assure d’abord qu’il a l’aval du Seigneur !
Serigne Modou Bousso Dieng dit : « Je pense que les disciples ne doivent pas fermer les yeux. Qu’ils ne croient à personne d’autre que Serigne Touba ! C’est lui seul le grand marabout. Et je suis sûr que les disciples mourides ne croient qu’en Serigne Touba. Et, à ce titre, personne ne suivra un autre « ndigël » que celui de Serigne Touba. C’est son seul « ndigël » qui est constant. »

Cheikh Béthio, vous dites que vous n’avez pas donné l’ordre à vos taalibé d’agresser le journaliste Pape Cheikh Fall, d’accord. Mais comment pouvez-vous être sûr qu’aucun d’eux ne l’a fait ? Vous dites « prouvez-le. » Il est évident que « jusqu’à l’extinction du soleil » (c’est à la mode) nul ne pourra le prouver, mais Dieu, l’Omniscient, ne dort pas…

Il y a des saints qui ont des disciples djinns. Si ce n’est pas votre cas, permettez-moi de douter de vos 4 millions de taalibe. Les avez-vous réellement ou est-ce juste pour impressionner Wade ? Les avez-vous recensés ? Ont-ils des cartes de membres ? Auriez-vous plus de disciples que tous les petits-fils de Serigne Bamba réunis ? Même si tous les Sénégalais étaient des mourides, je ne vois vraiment pas comment 4 millions d’entre eux seraient vos taalibe. (J’espère que je ne serai pas passé à tabac pour avoir posé ces questions.)

Si quiconque critique est agressé, qu’attendent donc les milices pour aller saccager la maison de Serigne Modou Bousso Dieng qui déclare « qu’une agression n’est pas mouride », en attendant que Serigne Saliou condamne ces agissements qui souillent la confrérie ?

Nous allons conclure par ces paroles de Serigne Modou Bousso : « Le marabout peut descendre sur le terrain politique pourvu qu’il ôte son manteau religieux. Les deux ne sont pas compatibles. Je rappelle que notre guide, Serigne Touba, a toujours été apolitique. En effet, personne ne peut politiser Serigne Touba. Personne, je dis bien, ne pourra utiliser Serigne Touba pour faire de la politique et que ça lui réussisse. Ses écrits sont clairs. Alors, si quelqu’un pense pouvoir utiliser les disciples de Serigne Touba à des fins politiques, les talibés ne le suivront pas.
Je suis un disciple de Serigne Touba et, en même temps, son petit-fils direct. Nous allons nous opposer à l’utilisation de ce symbole pour imposer une collaboration avec un parti politique et jouer des rôles inacceptables. Nous citerons des noms au khalife général des mourides, Serigne Saliou Mbacké, pour sauver et préserver l’image de notre guide vénéré afin qu’elle reste toujours belle. Il s’agit aussi de sauver la conscience de certains disciples, car il y a des voleurs de conscience qui s’appuient sur l’image de Serigne Touba pour vendre ses disciples comme du bétail politique. Cela doit s’arrêter et cela doit être le combat de tout bon mouride. »

Serigne Modou Bousso Dieng, jaaraama !


Bathie Ngoye Thiam



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