(Wal Fadjri, 03 avril 2006)
Cette campagne électorale commencée bien avant l’heure
au Sénégal, pour ne pas dire depuis l’an 2000, me rappelle
celle de 1978, au cours de laquelle Senghor disait, avec cette intonation
de voix et cet accent si particuliers qui donnaient à ses déclarations
toute leur saveur : « En telle année, quand je faisais ceci et
cela, Abdoulaye Wade, fu mu nekkoon ? (Où était-il ?) »
Il psalmodiait ainsi une liste dont chaque phrase se terminait par «
Abdoulaye Wade, fu mu nekkoon ? » Les gamins avaient fait une chanson
de cette rengaine.
Maintenant, les Sénégalais se posent la même question
sur le Prince.
Il est indéniable que depuis l’accession de Me Wade à
la magistrature suprême, son fils est devenu une sorte de nouveau Jean
Collin, un Monsieur Touche-à-tout, présent dans presque toutes
les sauces. Karim par-ci, Karim par-là. Karim a acheté ceci
et cela, Karim a fait ceci et cela… (Les mauvaises langues en rajoutent
certes énormément, allant jusqu’à le surnommer
« Monsieur 10% », mais il n’y a pas de fumée sans
feu.) L’un de ses derniers coups d’éclat : nous raconter
que Youssou Ndour lui en voulait de ne pas avoir intercédé auprès
de son père pour que 300 millions de nos francs lui soient accordés
et le lui faisait payer à travers les colonnes du journal qu’il
possède. Nous connaissons la suite. Monsieur aurait réclamé
750 millions au groupe de presse Futurs Media et n’a obtenu que «
l’insignifiante » somme de 40 millions qu’il envisage, dit-on,
de donner en aumône aux nombreux gueux qui hantent désormais
en rangs toujours plus fournis les rues de notre pays. Remarque, puisque papa,
au bout de quelques années au pouvoir a pu nous offrir 6 milliards,
le fiston ne doit pas être en reste.
Mais de même que Senghor disait « Aldoulaye Wade, fu mu nekkoon
? », les Sénégalais se demandent : « Karim Wade,
fu mu nekkoon ? »
- Quand les enfants du pays se battaient pour le sopi, Karim Wade, fu mu nekkoon
?
- Quand certains écumaient dans la nuit noire les artères de
Dakar pour y coller les affiches du PDS, Karim Wade, fu mu nekkoon ?
- Quand les bombes lacrymogènes pleuvaient sur les manifestants, Karim
Wade, fu mu nekkoon ?
- Quand les gens se faisaient bastonner et arrêter, Karim Wade, fu mu
nekkoon ?
- Quand Idrissa Seck menait la marche bleue, Karim Wade, fu mu nekkoon ?
- Quand les étudiants sacrifiaient des années d’études
sur l’autel de la démocratie, Karim Wade, fu mu nekkoon ?
- Quand Me Wade faisait marcher sans répit sous le chaud soleil de
nos tropiques, nos frères, nos sœurs, nos amis, Karim Wade, fu
mu nekkoon ?
La liste est longue.
Beaucoup de Sénégalais n’ont entendu parler de Philippe
Senghor qu’après sa mort tragique, et de Karim Wade qu’après
l’intronisation de son papa. Vrai ou faux ? C’est à se
demander si le peuple a élu un chef d’État ou une famille
d’État. Monsieur, madame et les enfants. Mais que voulez-vous
? Charité bien ordonnée commence par soi-même. Que le
tong-tong continue donc !
On nous dit que Karim est compétent. Je ne peux ni le confirmer ni
l’infirmer, mais nous savons tous que ce ne sont pas les Sénégalais
compétents qui manquent, n’en déplaise à celui
qui a déclaré ne pas connaître un seul compatriote capable
de le remplacer. Seulement ceux-là n’ont pas eu l’heur
d’être les princesses et princes de la Présipauté
et se retrouvent souvent à compter les poteaux, à défaut
de faire des galipettes sur les dunes du Sahara….
L’Afrique a bien connu un Kabila 1er et un Kabila junior, un Eyadema
1er et un Eyadema junior, pourquoi donc pas un Monsieur Sopi junior ?
Mais dites-moi, est-ce que Abdou Diouf, qui a dirigé le Sénégal
pendant dix-neuf ans, avait des enfants ? J’en croiserais un que je
ne le reconnaîtrais pas. Même leurs noms sont inconnus du citoyen
lambda, à fortiori leurs visages. Ce mérite doit au moins être
reconnu à leur père…
P.S. : De grâce, Monsieur le Prince, ne portez pas plainte contre moi
! Je vous le dis tout de suite, je n’ai pas des centaines de millions
à verser sur votre compte bancaire. Merci d’avance….
Bathie Ngoye Thiam