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WADE, SA TÉLÉ ET SES GAFFES.

(Wal Fadjri, 28 février 2006)

Depuis quelques jours, la RST1, que nous avons eu l’occasion de qualifier de « télé de la honte », met gratuitement - il ne manquerait plus que ce soit payant - son journal télévisé sur le net pour épater et appâter les Sénégalais de la diaspora. On s’en serait bien réjoui si ce magma insipide, lourd, soporifique n’avait pour couronner le tout, ces relents nauséeux de propagande. A en croire ce Valium télévisuel, tout va pour le mieux dans la « Présipauté » de Buur Saloum.
L’essentiel de l’information, c’est Wade et son gouvernement. Rien que du bien, naturellement. Le Sénégal émergent, les Grands Travaux, une croissance jamais atteinte, le tout évidemment disséqué à grands frais à coups de séminaires et de congrès d’auto glorification, des soliloques interminables, à faire ronfler un insomniaque, quelques dizaines d’individus dans une salle, autour d’une table, devant des microphones, des péroraisons allongées, plus les fastidieuses interviews qui les suivent. Et bien entendu, lorsqu’ils sont interrogés, comme s’ils en avaient reçu l’ordre, aucun membre du gouvernement ne s’exprime sans utiliser des termes du style « Sur l’initiative du président de la République… », « projet présidentiel », « rendre hommage au président de la République », « Le président de la République a convoqué une réunion présidentielle », « Son Excellence maître Abdoulaye Wade… », « sur instruction du chef de l’État », « La volonté du chef de l’État », « Le chef de l’État a le souci de… », « selon la vision du président de la République… », « suivant les instructions du chef de l’état… », « Les grands projets du président de la République… », etc.
La moindre réalisation du gouvernement, qui semble se résumer à la personne de Wade, aussi insignifiante soit-elle est présentée comme une faveur alors qu’elle relève d’une obligation, celle contractée avec le peuple, un droit absolu de ce dernier. Un petit puits creusé et on est bon pour de longues minutes de « remplissage ». Sans doute ont-ils oublié qu’ils avaient été élus pour satisfaire les besoins des Sénégalais et respecter les promesses qu’ils leur avaient faites. Or, pour l’instant, ce ne sont pas les déçus qui manquent. Qui ose encore demander aux chômeurs de lever la main ? L’unique télé dont nous disposons - n’étant « pas encore assez mûrs pour avoir des télés privées » -, nous sert à notre corps défendant une campagne électorale pure et simple, sans bien sûr y convier l’opposition, alors que le Sénégal se targue d’être un exemple en matière de démocratie en Afrique.
Mieux encore, que dis-je, pis encore, le pays pourrait être à feu et à sang que la RST1 n’en parlerait pas.
Le vendredi 17 février, alors que l’Université Cheikh Anta Diop s’embrasait au propre comme au figuré, pas un mot ne fut dit là-dessus au journal. J’imagine qu’ils n’avaient pas encore reçu l’aval des « hauts d’en haut » pour en parler. (Heureusement que nous avons des radios et des journaux indépendants pour nous informer.) Le lendemain, la télé nationale a enfin daigné nous parler de dégâts matériels alors que des étudiants étaient physiquement atteints. On n’y a fait allusion que quand le « généreux Wade », dans sa grande mansuétude, de retour de voyage (encore une fois) est allé leur rendre visite. Et dimanche, la télé de se lancer dans une longue et vaste rétrospective des réalisations de Wade sur le campus universitaire comme pour rappeler à ces sauvageons d’étudiants qu’ils devraient chanter une ode de remerciement à notre cher président au lieu de rouspéter pour des broutilles comme quelques centaines de kilos de viande avariée, des vers dans le repas qu’on leur a servi, la surpopulation quasi concentrationnaire du campus, le délabrement et l’exiguïté des salles de cours, le manque de personnel d’encadrement, la violation des franchises universitaires, les dégâts causés par des forces de l’ordre en furie, pour ces petits détails en somme qui ne devraient pas faire oublier à ces satanés étudiants, contestataires devant l’éternel, que « Buur Saloum » fait consacrer 40% de son budget à l’Education.
L’histoire cependant nous apprend que ce genre de mouvement est un des signes précurseurs de la chute d’un régime. Il faut donc nier l’évidence et trouver des boucs émissaires. Ainsi, on veut nous faire croire que tout ceci est l’œuvre de personnes étrangères à l’Université. On a d’abord entendu le ministre de l’Intérieur déclarer que sur près d’une centaine de personnes interpellées, il y avait une demi-douzaine de non-étudiants. Ah ! Si le ridicule pouvait tuer ! Dans toute manifestation de ce genre, il y a toujours des badauds qui s’en mêlent. Seraient-ils des centaines, on aurait compris le désarroi du pouvoir, mais six ou sept personnes… Mais la meilleure nous vient du chef de l’État, en personne, qui soutient sans ciller et le plus sérieusement du monde que des forces étrangères manipulent les étudiants par le biais des partis de l’opposition, pour semer le désordre dans le pays et déstabiliser son régime. Il ne manquait plus que ça. (J’espère que pour avoir écrit ceci, je ne serai pas condamné pour atteinte à la sûreté de l’État.)
Le Sénégal a connu beaucoup de grèves estudiantines et des années blanches ou invalidées, mais jamais un chef d’État n’a tenu de telles accusations, aussi graves, aussi dangereuses, aussi malvenues, que l’opposition a courtoisement qualifié « …d’irresponsables et infondées. »
Si nos étudiants sont mercenaires au point de gâcher leur scolarité pour quelques billets de banque, Wade qui distribue généreusement notre argent et nos terrains, allant jusqu’à offrir six milliards au peuple sénégalais, n’a qu’à leur donner leur part du gâteau et ils seront doux comme des agneaux, et cette bonne vieille télé pourra aller filmer un campus harmonieux où les GMI joueront de la mandoline pour des étudiants qui les embrasseront sur les deux joues pour leur témoigner leur affection et leur respect.
Dans un autre registre, mais tout aussi d’actualité, alors que dans un pays comme la France où la grippe aviaire est présente, des membres du gouvernement mangent de la volaille devant les caméras pour rassurer la population, aider une filière en danger et éviter de faire sombrer dans une précarité certaine les centaines de personnes qui en vivent, notre Wade national, l’unique, l’incomparable, dans un pays où la maladie n’est pas détectée et où l’on affirme que toutes les mesures de précaution nécessaires sont prises, déclare : « En tout cas, je ne mangerai plus de poulet. » Il a loupé une bonne occasion de se taire.

Bathie Ngoye Thiam.


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