(Wal Fadjri, 31 octobre 2005)
Le monde tout entier a vu, il y a quelques semaines de cela, des centaines
de Noirs africains dont un nombre considérable de Sénégalais,
essayer de gagner l’Espagne via le Maroc, sous le feu nourri de garde-frontières
marocains, pendant qu’ils tentaient d’escalader les barbelés
de l’espoir. Les survivants ont été pour certains menottés,
mis de gré ou de force dans des cars et jetés dans le désert.
Ils ont eu à parcourir des centaines de kilomètres à
pied. Combien d’entre eux sont morts en errant ainsi dans le désert
? Personne ne le sait ou ne veut le savoir. La nuit, nous dit TV5, les autorités
marocaines coupaient l’électricité dans les villages proches
des zones où ces malheureux aventuriers se trouvaient pour les empêcher
de s’orienter. Ils marchaient nuit et jour, ne sachant où aller,
sans eau ni nourriture, en proie aux changements climatiques périlleux
du Sahara, allant de la chaleur la plus torride au froid le plus terrible.
Mort lente et barbare. Les témoignages sont accablants. Weddi, gis
bokku ci. (On ne peut pas nier les faits.)
Pour sauver la face, le Maroc a mis en scène un groupe de Noirs dans
un décor présentable et plus ou moins confortable pour prouver
à ceux qui en doutaient encore qu’ils avaient été
bien traités. Hypocrisie pure et simple, mais obligatoire. Les plus
chanceux furent alors rapatriés par avion.
On espérait voir nos gouvernements monter au créneau pour défendre
leurs ressortissants. Il n’en fut rien. Nada ! Pire, ils se mettent
de connivence avec le Maroc pour nier les faits. Mon Dieu, quelle honte !
La RTS 1 nous a livré le reportage d’un « journaliste »
dont le nom ne mérite même pas d’être cité
ici, envoyé faire l’avocat du diable. Selon cet envoyé
plus que spécial, si les Marocains ont tiré sur les aventuriers,
c’est uniquement parce qu’ils ont été « surpris
par la brutalité de l’assaut ». Cela semble dire qu’on
ne devrait pas le leur reprocher. Ces nègres n’avaient donc qu’à
escalader ces barbelés avec la grâce de ballerines. Puis, évitant
soigneusement de parler de nos compatriotes jetés dans le désert,
il déclare que les nouveaux « damnés de la terre »
ont été acheminés « vers leurs pays d’origine,
aux frais du Maroc. » Quel humanisme ! « Ils ont été
rapatriés dans la dignité. »
Et comme si cela ne suffisait pas, notre « journaliste » veut
nous faire croire que ce que nous avons vu et entendu n’était
qu’hallucination. Je cite : « Le gouvernement marocain, SÉRIEUSEMENT
(Il appuie sur le mot) secoué par les accusations de la presse internationale…
» Accusations ? Encore une fois, « weddi, gis bokku ci. »
Mais monsieur va encore plus loin en nous apprenant que les Marocains veulent
« rétablir la vérité. » Dans la même
lancée, il nous rappelle qu’au plan bilatéral, Rabat et
Dakar sont en phase dans les domaines religieux, politique et diplomatique.
Ainsi donc ceci expliquerait cela, mieux l’excuserait presque. Mon Dieu,
ouvrez la terre pour que j’y cache ma honte d’être sénégalais.
Qui peut un seul instant imaginer les autorités sénégalaises
ou de n’importe quel pays d’Afrique noire traiter ainsi des ressortissants
maghrébins ? Notre « journaliste » nous dit enfin que le
Maroc, « reconnaissant certaines erreurs » (lesquelles ?), va
œuvrer pour une coopération, si je peux l’appeler ainsi,
Europe-Afrique afin de résoudre les problèmes de l’émigration.
C’est un peu comme si l’État d’Israël n’avait
droit qu’à une seule chaîne de télé et que
celle-ci, pour soi-disant sauvegarder des intérêts d’Etat,
dise : « L’Allemagne a voulu libérer les Juifs par le travail.
» (Arbeit macht frei !)
Ce qui est ahurissant est qu’on nous passe cela à la télé
alors qu’on cherche par ailleurs à museler d’autres journalistes.
On entend dire que « donner la parole au Sénégalais Salif
Sadio est un délit. » Dans quel pays sommes-nous ? Je trouve
plus digne de respect un journaliste qui prend le risque d’aller dans
le maquis pour nous informer qu’un guignol qui traite nos compatriotes
de moins que rien. Aurait-on ainsi jeté des chiens dans le Sahara,
des voix se seraient élevées pour condamner cet acte odieux
et « inhumain ». Mais ce ne sont que des nègres assassinés
qui voient leur pays, par la voix de sa télé, se faire l’avocat
des bourreaux.
En quoi interviewer Salif Sadio est-il un délit ?
En France, les nationalistes corses sont montrés à la télé,
avec ou sans cagoules, et parfois lors de rencontres « secrètes
». Pourtant ils sont auteurs d’attentats et d’assassinats.
Notre ami Bush n’a jamais fait fermer les locaux d’un journal
ni arrêter des journalistes parce que l’interview d’un «
ennemi » a été publiée. Au contraire c’est
carrément à la télé et sur toutes les chaînes
que l’on montre les « messages vidéos » de Ben Laden
menaçant l’Amérique et ses dirigeants. J’imagine
que si c’était au Sénégal, les locaux des radios
et des rédactions seraient rasés ou brûlés, les
journalistes condamnés à mort. On peut se demander, tristement,
si ce sont les Sénégalais qui ne sont pas assez mûrs pour
avoir des télés privées ou si ce sont nos dirigeants
qui doivent prendre des leçons de démocratie pour se défaire
de ce totalitarisme digne des plus sombres pages de l’Histoire des rois.
Et la RTS, la seule télé, que contrôle le Parti Totalitaire
Sénégalais (P.T.S.), osons le dire, n’est plus la télé
nationale, mais la télé de la honte. Nous sommes dans une «
démocratie » où l’on n’a droit à la
parole que quand on caresse dans le sens du poil. Tout à la gloire
de l’État, voilà la RTS. Si au moins on nous disait la
vérité et rien que la vérité, toute la vérité
!
Dieu merci, il y a encore de vrais journalistes qui font bien leur travail
quand bien même ils ne cessent d’avoir des bâtons dans les
roues.
« Atteinte à la sûreté de l’État »
étant en vogue, nous exigeons la fermeture de la RTS pour atteinte
à la dignité du peuple sénégalais.
Bathie Ngoye Thiam