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UN VENDREDI, DEUX « KHOUTBA » (SERMONS).

(Wal Fadjri, 27 juillet 2005)

Vendredi 22 juillet 2005. Les Sénégalais qui ont été à la mosquée puis ont écouté la radio ont eu droit à deux « khoutba », l’un de l’imam du quartier, et l’autre de notre Idy national.
A l’heure où un marabout est appelé « Général », un homme politique, et pas n’importe lequel, devient « Mara ». Tous deux ont une ambition commune : diriger le pays. Politique et religion sont indissociables chez nous, ce qui donne à notre laïcité un quelque chose que l’on ne trouve point ailleurs. C’est ce que Moustapha Niasse semble avoir compris, lui qui lance un appel aux chefs religieux pour qu’ils parlent au chef de l’État. L’heure est donc grave, comme on dit.
Le « khoutba » de Mara-Idy a certes été le plus écouté, car diffusé à travers les ondes de nos radios captables partout dans le monde. Mais comme on pouvait s’y attendre, certains doutent de l’authenticité de ce CD. Mesdames et messieurs, c’est bien Idy, il n’y a aucun doute là-dessus. La question est : « Quand, où et comment a eu lieu l’enregistrement ? » Le « quand » a de l’importance car le politicien-mara parle en visionnaire :
« Mon arrestation sera suivie d’une vaste enquête, une vaste opération d’espionnage politique et d’exploration de mes réseaux d’amitié. On interrogera sans doute mes plus proches, on les torturera peut-être, on les intimidera sûrement, au moyen des pouvoirs exorbitants que confère aux enquêteurs le prétexte d’atteinte à la sûreté de l’Etat, dont j’en suis sûr, ils se serviront. » Cela fait penser à Jésus disant à ses disciples : « Alors on vous livrera à la tribulation et l’on vous tuera, et vous serez les objets de la haine de toutes les nations à cause de mon nom… »(Matthieu 24 : 9)
Seulement les prophéties sont gâchées par cette phrase au présent de l’indicatif : « La présente procédure d’atteinte à la sûreté de l’Etat est la seule à leur disposition pour m’arrêter, m’espionner et peut-être m’assassiner arbitrairement… » Mais que voulez-vous ? Seul Dieu ne se trompe pas. En tout cas, nos papas et mamans qui l’ont entendu réciter des versets du Coran, avec l’accent requis, n’ont sûrement pas manqué de claquer des doigts en criant : « Euskey ! »
Ceux qui s’attendaient à voir un homme politique déçu, frustré et traqué, ont découvert un saint ou quelqu’un qui semble se présenter comme tel. Il se définit comme « un fils qui ne se prosterne que devant Dieu, plus digne de sa crainte et de son respect. » Là, il nous rappelle Serigne Touba écrivant : « Dieu me suffit (…), et je me contente de Lui. (…) Je ne crains que mon Roi et n’espère qu’en Lui. » Après avoir prédit son incarcération, voire son assassinat, pour « détruire un fils d’emprunt après usage », Mara-Idy s’adresse à ses proches : « L’objectif ne sera pas de défendre Idy, Allah y suffit. » Qui dit que le Sénégal n’est pas un pays de saints ?
Après un Taalibe-Président, nous avons des chances d’élire un Saint-Président, s’il est vrai que la prison est un raccourci vers le palais. Cela prouve que le pays avance. On peut alors se demander si nous n’aurons pas une République islamique.
Mais si ce cd a été enregistré par liaison téléphonique, pendant que le « prophète » était en détention, cela voudrait dire que notre Idy nous prend vraiment pour des demeurés et cherche à abuser de notre foi.
Pour en venir au Cd proprement dit, la lecture est un peu ennuyeuse, surtout au début, avec des « Lui » et « Moi » à n’en plus finir. Est-ce pour justifier le titre du prochain livre ou une révélation divine ? Les profanes d’un journal de la place, que je ne nommerai pas pour leur éviter des poursuites judiciaires, ont commis le sacrilège de remplacer «Lui » par « Wade », et « Moi » par un tiret. C’est comme s’ils se permettaient de changer quelques mots dans les chansons du Général Kara, chansons qui, selon certains, lui seraient dictées par des anges. Mais comme Mara, né pour être président, est comparable à « un bol rempli de lait », il va leur pardonner leur ignorance, j’en suis sûr.
Grâce à notre ex-PM, les voyous ne vont plus arracher les colliers de nos femmes, mais surveiller les déplacements d’un certain Huchard, « malgré qu’il soit très longtemps à la retraite » (Pardon, Senghor, Poète-Président, le saint homme maîtrise mieux l’arabe), qui transporte des enveloppes bien remplies. Et s’ils se retrouvent au bagne avec Mara-Idy, ce dernier fera du beau travail en implantant la foi dans leurs cœurs, comme l’a fait Latif Guéye avec Ino.
Nous apprenons qu’Idy, le « vertueux », malgré son jeune âge, servait de guide spirituel au vieux Wade, lui conseillant, après avoir vaincu l’ennemi par les armes de la démocratie, de suivre l’exemple du prophète Mohamed (PSL), « un nouvel élu qui rend grâce à Dieu de l’avoir secouru et choisi parmi tant d’autres possibles. »
Ceux qui n’ont rien compris pensent qu’il a comparé le Prince Karim à Jésus « fils de Dieu ». Il n’en est rien. Mara ne peut avoir de telles idées. Seul le jeune leader Talla Sylla, futur Chanteur-Président, « a eu la perspicacité d’identifier, en lui reprochant de comparer Wade à Dieu. » (Vous y comprenez quelque chose ?)
Ce qui est surtout frappant dans ce « khoutba », c’est que l’imam ne cache pas sa peur d’une « attaque cardiaque » ou d’un « suicide » en prison. Cela nous ramène à l’affaire Maître Seye et aux marteaux de Talla. On nous dit souvent que « Wade est incapable de tuer une mouche. » Pourquoi donc quelqu’un qui le connaît si bien se sent-il en danger à ce point ? Il doit savoir de quoi, ou alors il a perdu la tête. Pourtant Wade lui aurait promis de ne jamais lui faire de mal…
Idy, fils de substitution, magnanime, lance enfin cette prière : « Fais que j’aie une mention honorable sur les langues de la postérité et fais de moi un des héritiers du jardin des délices. Et pardonne à mon père, car il a été du nombre des égarés… »
Ces révélations qui, d’après l’auteur, sont « d’une descente fragmentée et graduelle », comme le Coran, nous prouvent que les pensionnaires de Reubeus-City auront un imam digne de foi.
J’espère que nous en saurons plus vendredi prochain, au deuxième « khoutba », sur la raison de son arrestation, vu que les chefs d’inculpation changent tous les jours. Mais comme le but semble être de l’incarcérer à tout prix, peut-être qu’on dira que c’est parce qu’il a le teint trop noir, contrairement à Karim qui mérite mieux de s’installer sur le trône, lui qui est déjà délégué auprès des princes et rois…
Que Dieu te protège, Mara , jusqu’au prochain déballage. Les garçons veulent en savoir un peu plus sur la vie de la princesse célibataire. Par ailleurs, je croyais que maman Elisabeth avait du goût, mais c’est vrai que comparée à l’artiste maman Vivi… Et l’histoire des grands bandits qui se partagent le butin est très passionnante. Merci de nous l’avoir racontée.
Ô Seigneur, où va ce pays ?

Bathie Ngoye Thiam.


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