(Wal Fadjri, 28 mai 2005)
J’ai souvent ouï dire que le ridicule ne tue pas. Je viens de
comprendre ce que cela signifie, en voyant certains militants du P.D.S. se
réjouir du fait que les partis de l’opposition ne sont pas encore
unis, alors que leur propre parti est divisé en clans et secoué
par des guerres fratricides, chacun voulant se tailler la part du lion, sentant
que la fin du tong-tong approche. Voir la paille dans l’œil du
voisin, et pas la poutre dans le sien.
Signalons que d’ici le second tour, en 2007, l’opposition a assez
de temps pour s’organiser, comme ce fut le cas en 2000, c’est-à-dire
choisir le candidat le mieux placé. Mais là n’est pas
la préoccupation du peuple, du moins, pas pour l’instant. Les
Sénégalais veulent un gouvernement capable de résoudre
leurs problèmes, et force est de reconnaître qu’ils ne
l’ont pas encore. Moi, je ne suis d’aucun parti politique, mais
je suis avec quiconque fait du bien pour le pays.
Dès que Wade a été élu, grâce aux autres
partis qui l’avaient soutenu, et surtout parce que le Sénégal
voulait absolument se défaire du régime P.S., il est, pour ainsi
dire, entré en campagne électorale, comme s’il n’avait
plus qu’un seul but : rester au pouvoir. Cela n’est plus à
démontrer.
Le pays lui fut confié. L’espoir se lisait partout. Il lança
son fameux : « Il faut travailler… » Or le Sénégal
est sans doute le pays où il y a le plus de jours fériés,
pendant que lui, il éreinte « La Pointe de Sangomar ».
Connaissez-vous un chef d’État qui fait le tour du monde autant
que le nôtre ? Et quand la remarque lui fut faite, il donna cette réponse
qui mérite de figurer dans le Guinness des records de l’absurdité
: « Youssou Ndour voyage plus que moi. » Il y a là, je
crois, de quoi s’alarmer.
Tous les présidents du monde, même les dictateurs ont des conseillers
compétents qu’ils consultent avant de faire ou dire des choses
qu’ils pourraient regretter après. Mais un Buur qui croit tout
savoir et tout pouvoir, qui se débarrasse de tous ceux qui osent lui
dire qu’il est dans l’erreur, tout en déclarant : «
Si je me trompe, qu’on me le dise », ne peut être salutaire
pour aucun pays. Si au moins, il savait ce qui se passe dans le pays ! Mais
c’est impossible, puisqu’il est tout le temps en voyage. Des rencontres
qui ne nous servent à rien, des décorations souvent douteuses…
Et le comble, ce fut quand il remplit deux avions, juste pour aller se faire
décorer aux USA, comme défenseur des droits de l’homme
ou que sais-je encore. Le culte de la personnalité atteint vraiment
son paroxysme avec lui. Il serait prêt à embarquer tout le Sénégal,
pour aller se faire applaudir. Et à son retour, il lui fallait, évidemment,
organiser une fête à Dakar. Les grands hommes comme Mandela et
d’autres ne se seraient jamais permis de tels enfantillages. Aucun président
au monde n’aime autant les tapis rouges, les honneurs et les festivités.
Et que fait le « défenseur des droits de l’homme, apôtre
de la démocratie » ? Il amnistie des criminels et laisse les
pauvres voleurs de poules croupir en taule. Notre grand-père est un
spécialiste des « contradictions », pour ne pas utiliser
un mot irrespectueux. Ces temps-ci, il soutient ouvertement Farba Senghor,
qui aurait envoyé une brigade bombarder la villa d’Idrissa Seck
avec des œufs pourris et des tripes de vache, tout en condamnant les
actes de vandalisme et autres incivilités. Il donne ainsi l’image
d’un pyromane-pompier.
Et le peuple dans tout ça ?
Il importe de savoir que le Sénégal, ce n’est pas seulement
Dakar et Touba. Faîtes un tour à l’intérieur du
pays, vous serez affligés par la misère qui y règne.
Dans certaines familles, il y a des jours où aucun fourneau n’est
allumé. Je l’ai vu mes propres yeux. Pendant ce temps, on crie
haut et fort, sans honte, que les caisses de l’État sont pleines.
Où passe donc l’argent ? On organise des meetings de quelques
centaines de millions de francs, car le roi a besoin d’avoir l’impression
qu’il est populaire et aimé. Mais a-t-il vraiment besoin de gaspiller
notre argent pour montrer qu’il peut rassembler des foules ? Et quoi
de plus insensé que cet anniversaire de l’alternance, quand,
même la fête de l’Indépendance fut, pendant des années,
célébrée dans l’austérité pour nous
épargner des dépenses inutiles. Des « sukëru koor
», des béliers de Tabaski, des billets pour la Mecque, des voitures
neuves pour les députés, tripler le salaire des ministres, sans
oublier les gouverneurs, préfets et sous-préfets, tout pour
la cour. Et Quand la folie de grandeurs s’en mêle, alors c’est
la catastrophe. Monsieur va jusqu’à remplacer notre Hymne nationale
par une de ses « compositions », et l’étoile de notre
drapeau par un baobab. Il faut bien qu’il laisse son empreinte, me direz-vous.
Et, se croyant fort, il a liquidé tous ceux qui l’ont aidé
à accéder au pouvoir ou les a phagocytés. Pire encore,
son goût du pouvoir ou sa crainte de le perdre le pousse à remettre
dans le gouvernement toute la racaille dont le peuple ne voulait plus. Il
ne lui reste plus qu’à nommer Abdou Diouf Premier ministre. Oui,
Wade a déçu. Il faut avoir l’honnêteté de
le reconnaître.
Quand l’urgence est la circulation à Dakar, il s’occupe
d’un aéroport, car ça fait plus glamour et puis, il se
pourrait que plus tard, cet aéroport porte son nom.
Ses ministres doivent être des disciples disant oui tout le temps. Il
lui en faut un grand nombre sans cesse renouvelé, car la mégalomanie,
ici, est sans limites, et les opportunistes l’ont bien compris. Quiconque
veut organiser quelque chose au Sénégal, fait d’Abdoulaye
Wade le parrain ou le met sous sa présidence d’honneur. «
Soirée Abdoulaye Wade », « Courses de chevaux Abdoulaye
Wade » « Tann béér Abdoulaye Wade », etc.
La meilleure dans ce registre reste le tournoi de jeux de dames. Un nom s’imposait
: Baba Sy, le seul Sénégalais à avoir été
champion du monde des jeux de dames, mais… Abdoulaye Wade a été
choisi. (Abdou Rahmane Cissé en a parlé dans une contribution
parue dans Walf.) La liste est trop longue. D’autres y vont à
coups d’éloges et de compliments, caressant toujours dans le
sens du poil ; alors, le « sage », le « visionnaire »,
ne se sent plus. « Quand j’ai dit ceci et cela, tel président
ou telle personnalité m’a félicité », aime-t-il
à raconter.
S’il était assez modeste pour demander des conseils avant de
parler, il n’aurait pas promis aux émigrés des maisons
à 4 millions, car tous ceux qui connaissent les réalités
du pays qu’il est censé diriger, savent que cela est purement
et simplement irréalisable, même si les émigrés
n’étaient qu’un millier. (Il paraît toutefois qu’un
chantier serait en cours à Diamnadio. Reste à vérifier.)
Ce n’est pas avec de l’utopie que l’on dirige un pays. Des
promesses de ce genre, les Sénégalais en entendent tellement
qu’ils n’y font même plus attention. Souvenez-vous, à
la rentrée scolaire passée, des fournitures gratuites étaient
promises aux élèves. Bon nombre de parents ont fini par se débrouiller.
Mais quelques enfants ont reçu des ballons de football. Et les cantines
pour les élèves ? «Tass yaakaar baaxul.» Je n’ai
pas besoin de mentionner les « grands projets ».
Certains l’appellent « le maître du Je ». En effet,
il n’est pas autre chose. On entend souvent Bush dire : « L’Amérique
veut… » ou Chirac : « La position de la France est…
» Avec Wade, on entend : « je », « moi ». Il
fait même mieux que le roi Hassan II qui disait « nous ».
Aucun membre du gouvernement ne s’exprime sans le citer, craignant sans
doute d’être limogé sans sommation. Il a la main sur tout.
La télé semble lui appartenir. Il raffole des caméras.
Je l’ai vu une fois dans l’émission « Rideau Rouge
» de Claude Serillon, ce fut ma honte de l’année. Il était
avec d’autres Chefs d’État dont celui du Mali, mais il
monopolisait tellement la parole que le journaliste, n’en pouvant plus,
finit par lui dire, avec autant de diplomatie que possible, quelque chose
du style : « Monsieur Le Président, nous savons que vous êtes
très éloquent, mais laissez aussi les autres s’exprimer.
» Que voulez-vous ? Il semble croire que lui seul est intelligent. La
preuve, il a, disons-le, sous-estimé tous les Sénégalais
en disant qu’il n’en voit pas un qui soit capable de le remplacer.
Comment appelez-vous cela ?
Pour que ce texte ne soit pas trop long, je ne vais pas parler de l’ingérence
des membres de sa famille dans les affaires de l’État, de ses
rapports avec les confréries religieuses, ni de comment notre Idy national,
ambitieux comme Sarkozy, semble avoir compris que ce vieillard qui a l’air
de se prendre pour Dieu est incapable de mener notre pirogue à bon
port...
Bathie Ngoye Thiam