(04 février 2005)
Le quatrième pouvoir devient de plus en plus un instrument dont les
politiques se servent pour manipuler et tromper le peuple ou détourner
son attention des vrais problèmes. Il y a des médias complices
et d’autres utilisés à leur insu. Il suffit de faire passer
une « information » dans un journal parlé, écrit
ou télévisé pour qu’elle fasse boule de neige.
Au Sénégal, ces derniers temps, des marabouts et d’autres
personnalités montent souvent au créneau pour démentir
les journalistes. D’où viennent donc les informations ?
Quand un événement se passe quelque part, des journaux qui n’ont
aucun envoyé spécial ou correspondant sur place, n’en
sachant pas plus que vous et moi, se contentent d’informations captées
ça et là qu’ils nous balancent sans vérifier l’authenticité,
sans citer leurs sources et sans guillemets.
Au lendemain du tsunami – qui, selon mademoiselle la pianiste (Condolleezza
Rice), est une merveilleuse occasion pour la démocratie américaine…-,
tous les journaux du monde avaient affirmé qu’il y avait 11.000
morts. Presque aucun n’avait parlé de bilan provisoire ni cité
ses sources. Maintenant, on parle de près de 300.000 morts. C’est
pourtant compréhensible et même pardonnable. C’est la course,
donc il peut y avoir des faux départs. Et puis, il y a tellement d’informations
qu’on ne retient plus rien. Et ça, les politiciens le savent.
Tout scandale finit vite aux oubliettes, et les chiens aboient au passage
de chaque caravane. Qui s’intéresse encore au sort du peuple
afghan « libéré » par des bombes ennemies, et mis
sous le joug d’une marionnette « démocratiquement »
élue ? Et les prisonniers de Guantanamo – qui me font étrangement
penser à ceux d’Auschwitz - enfermés et torturés
depuis des années, sans raison autre que celle du plus fort ? La liste
est trop longue. On s’indigne, puis on se tait et on oublie. Les caravanes
continuent de passer. L’O.N.U. aussi fait partie des chiens qui aboient.
Mieux encore, Kofi Annan serait dans le collimateur de Washington pour avoir
tenu des propos critiques sur la guerre en Irak. Ce n’était pourtant
qu’une mise en garde adressée aux dirigeants américains,
britanniques et irakiens sur les conséquences de l'offensive sur la
ville rebelle irakienne de Falloujah. « Cet assaut pourrait compromettre
le bon déroulement des élections prévues en janvier »,
avait dit M. Annan. Et comme Bush disait que le monde est plus sûr depuis
la chute de Saddam Hussein, il avait répliqué : « Je ne
peux pas dire que le monde est plus sûr quand vous considérez
la violence autour de nous, quand vous voyez les attaques terroristes dans
le monde et que vous voyez ce qui se passe en Irak. »
Mais là où la presse devient impardonnable, c’est quand
elle véhicule des histoires à dormir debout, comme lors des
bombardements de Falloujah, en octobre dernier, du reste oubliés depuis.
Ce n’était qu’un ignoble carnage qu’on a rapidement
fait sortir de la mémoire collective gavée de fausses informations
ou d’informations tronquées qui vont si vite qu’on n’a
pas le temps de les disséquer. On ne nous laisse pas le temps de réfléchir
pour comprendre ce qui se passe.
On se souvient qu’il y eut un déluge de feu incessant sur Falloujah,
de jour comme de nuit. Combien de victimes ? Nous ne le saurons sans doute
jamais. Mais ce qui cloche dans cette tuerie, ce sont les déclarations
faites avant l’assaut. M. Rumsfeld, chef du Pentagone disait : «
La bataille sera longue et difficile. » En même temps, les médias
nous apprenaient qu’il y avait 10.000 soldats américains et 2000
Irakiens contre 2500 terroristes, presque 5 contre 1. Même à
armes égales, une telle bataille ne peut être ni longue ni difficile.
Mais cela pouvait rassurer les familles américaines tout en leur faisant
savoir que leurs enfants risquaient de rentrer dans des cercueils. Allez donc
y comprendre quelque chose. La presse se chargea de faire passer le message
sans se poser cette question qui serait venue à l’esprit du plus
abruti des humains : comment savent-ils que les « terroristes »
sont au nombre de 2500 ? Aucune source ne fut citée. L’information
manquait lourdement de crédibilité. Est-ce que les « terroristes
» étaient allés se faire recenser auprès de leurs
ennemis ou leur avaient-ils envoyé un message pour dire combien ils
étaient ? En plus, ils nous disaient que les 10.000 Américains
n’étaient là que pour soutenir les 2.000 Irakiens. Voilà
certes ce qu’on appelle un soutien de taille. La suite est encore plus
rocambolesque. Bien avant les bombardements aveugles, on nous informa que
les chefs terroristes recherchés avaient déjà quitté
la ville. Comment pouvait-on le savoir ? Et pourquoi ne les avait-on pas capturés,
vu que toutes les sorties étaient contrôlées ? Mais on
avait quand même bombardé. Dans quel but ? Une question que les
journalistes n’avaient sans doute pas trouvée importante. Il
aurait été dit aux habitants de quitter la ville pour qu’il
n’y reste que les combattants. N’est-ce pas original comme tactique
de guerre ? Seulement, on ne nous avait pas montré les 300.000 habitants
quittant la ville. Et pour aller où ? Avait-on prévu des cars
ou des trains pour les transporter, et des endroits où les reloger
pendant qu’on détruisait leurs habitations ? En tout cas, quiconque
restait à Falloujah, jeune, vieillard, femme ou enfant, devait être
tué, blessé ou capturé. Et les Américains prirent
soin d’occuper d’abord le principal hôpital de la ville,
avant de raser d’autres hôpitaux. Etait-ce pour achever les innombrables
blessés qui y seraient amenés ou pour les soigner ? Nul n’a
encore expliqué pourquoi.
Une mosquée fut bombardée dès les premiers jours, mais
cela ne fit pas la Une des journaux. Je n’en entendis parler qu’une
seule fois, dans un journal télévisé néerlandais.
Il ne fallait surtout pas ameuter la communauté musulmane. Silence,
on tue ! Par contre, on nous apprit qu’il n’y aurait que 10 victimes
dans la « coalition » et une vingtaine du côté des
rebelles. Où tombaient donc les bombes ? Dans le désert ? Et
surtout comment pouvait-on savoir le nombre des victimes ? Les comptait-on
sous les bombardements ? Et mieux encore, le soi-disant Premier Ministre par
intérim, nommé par ses maîtres, déclarait qu’il
n’y avait pas de victimes civiles. Déclaration reprise par les
médias qui ne se posèrent pas de questions. L’Amérique
est décidément très avancée ! Même ses bombes
savent détecter leurs cibles pour éviter les civils. Israël
a encore des cours à rattraper. Mais on se souvient des images, filmées
par hasard, de soldats américains entrant dans une mosquée à
moitié détruite par leurs tirs et l’un d’eux, ne
réalisant pas qu’il était filmé et sans doute amateur
de cette sale besogne devenue une routine, acheva d’un coup de feu à
bout portant un Irakien blessé et non armé en disant : «
Maintenant, il est bien mort ! »
Autre information farfelue : On disait qu’il n’y avait que 150
familles restées dans la ville, mais après le massacre, 500
prisonniers furent libérés « parce qu’ils n’étaient
pas des combattants. » Si l’on pense aux tués, aux blessés
et aux détenus, il devait donc y avoir du monde. Je comprends qu’on
empêche les journalistes de révéler les « secrets
de guerre », mais est-ce que cela explique tout ? Qu’est devenu
Falloujah ? Plus personne n’en parle.
Quand l'offensive entra dans sa deuxième semaine, l'armée américaine
fit quand même état de 38 morts et 275 blessés dans ses
rangs. Signalons toutefois que d’autres sources parlaient de plus de
100.000 victimes civiles, presque dix fois la population de Bambey, ce qui
est tout à fait plausible, vu l’intensité des bombardements.
Mais nous a-t-on montré les victimes ou leurs familles ? A-t-on interviewé
des survivants ? Top secret !
Le comble, c’est quand Bush s’est servi de Ben Laden comme épouvantail,
grâce aux médias, pour être réélu. Nous en
avions parlé en ces termes :
« … la meilleure fut cette cassette vidéo sortie à
trois jours des élections. On y voit Ben Laden attaquer Bush et menacer
les Américains. Notons que cela s’est passé à un
moment où « l’homme le plus puissant du monde » était
dans de beaux draps. Les exploits guerriers en Irak dont il faisait son cheval
de bataille venaient d’être bien amochés par la disparition
de 380 tonnes d’explosifs qui étaient sous la garde de ses soldats.
Son administration tenta de le passer sous silence, mais le scandale éclata
au bout d’une dizaine de jours. Des explications de quelqu’un
qui est tombé d’une charrette furent fournies, comme d’habitude.
« Les explosifs étaient peut-être volés avant la
guerre », disait-on sans convaincre personne. Les portes étaient
bien scellées par les inspecteurs. Et là, comme par un coup
de baguette magique, Ben Laden arriva à point… Les explosifs
furent largués aux oubliettes. »
Des spécialistes disaient que le message ne pouvait pas être
de Ben Laden, mais les médias, pressés de diffuser l’information,
n’en avaient que faire. Bush réélu, on n’en parla
plus. Ben Laden n’a plus donné signe de vie. N’est-ce pas
étrange ? S’il s’était vraiment invité aux
élections pour aider Bush à gagner, il devrait logiquement envoyer
une autre cassette après les élections pour tenir un discours
du style : « Vous avez voté pour Bush ? Vous allez donc voir
ce que nous ferons ! » Mais dans l’euphorie de la victoire, on
a oublié de le ressortir, ce qui ferait plus crédible. On ne
parle même plus de lui. J’imagine cependant que quand Bush sera
prêt pour envahir l’Iran, on nous montrera la « preuve »
que Ben Laden s’est réfugié à Téhéran.
Puis, une fois le pays occupé, sans qu’aucune trace de lui ne
soit trouvée, on nous dira qu’on a au moins libéré
le peuple iranien pour lui apporter la démocratie. D’autres pays
enverront aussi des soldats pour mater toute rébellion, et les «
terroristes » seront traqués dans tout le pays. Pendant ce temps,
des sociétés américaines exploiteront le pétrole
et des élections bidon seront organisées, puis il sera question
de « reconstruction ». Exactement comme en Irak.
Je crois de plus en plus que Ben Laden est mort depuis longtemps ou emprisonné
ou alors il fume tous les soirs le calumet de la paix avec Bush à qui
il rend tant de services. Pourquoi les journalistes ne demandent-ils pas à
Bush où il en est dans sa chasse à Ben Laden ? Pour l’instant,
on nous abreuve de l'« islamiste » jordanien Abou Moussab Al-Zarqaoui,
présenté comme l’ennemi numéro un des Etats-Unis
en Irak, pour détourner notre attention du peuple qui lutte contre
l’occupant. Résistance qu’on tente de minimiser en la mettant
sur le compte de petits groupes de terroristes étrangers. Al-Zarqaoui
n’aura qu’à aller se cacher, lui aussi, en Iran ou en Syrie
pour que cela justifie une nouvelle invasion-occupation, avec ou sans l’aval
de l’O.N.U., que les médias appelleront « guerre ».
Mais il faudra d’abord « finir le travail » en Irak, ce
qui risque d’être « long et difficile ». « L’axe
du mal » ne perd donc rien pour attendre. Maintenant que le roi de la
planète sait qu’il n’a plus que quatre années de
règne, il nous fera encore avaler plein de couleuvres, avec la complicité
consentie ou inconsciente du quatrième pouvoir.
Bathie Ngoye Thiam