(26 novembre 2004)
Je suis croyant et mouride. Mon père fut même représentant
d’un khalife général. Et mon grand-père était
très proche des marabouts.
J’aborde un sujet sensible, mais je crois que nous devons en parler.
Si nous voulons avancer, disons-nous la vérité. Ceux qui croient
en nos saints, jurent ou parlent en leurs noms, doivent suivre leurs pas.
Les orateurs de rues disent que Serigne Touba n’avait pas de poches
dans ses vêtements et ne touchait même pas l’argent. Vrai
ou faux, je n’en sais rien, mais cela montre qu’il n’accordait
pas beaucoup d’importance aux biens de ce bas monde. Est-ce que tous
ses descendants en font autant ? Ce que j’ai vu me fait dire : «
Non, pas tous. » Alioune Mbaye Nder a beau chanter « Limousine
du dara », force est de reconnaître que c’est bien quelque
chose dans un pays comme le nôtre. Vous imaginez-vous Serigne Bamba
ou El Hadj Malick acheter une telle bagnole, même si les temps ont changé
? Notre artiste n’a pas convaincu les détracteurs. Loin de moi,
cependant, l’idée d’insinuer qu’on n’est pas
un bon marabout uniquement parce qu’on a des voitures de luxe ou de
jolies maisons. Ne dit-on pas que Seydina Ousmane fut très riche ?
Seul Dieu sait qui est qui. C’est Lui qui connaît le contenu des
cœurs.
Lors du dernier Magal de Touba, j’ai été témoin
de choses qui m’ont néanmoins laissé perplexe. J’étais
dans la maison d’un de ceux qu’on appelle les « petits marabouts
». Il était assis dans son fauteuil et fourrait dans ses poches
l’argent que les disciples lui donnaient. Il avait de grandes poches
bourrées de billets de banque. Quand ces derniers tombaient par terre,
les poches étant pleines, il se levait, allait dans une de ses chambres,
puis, revenait quelques minutes plus tard, les poches vides pour les remplir
de nouveau. De temps en temps il faisait une prière de quelques secondes
et postillonnait dans l’air. Ceux qui étaient devant s’en
allaient et d’autres prenaient leurs places pour donner leurs «
adiya ». Pourquoi pas ? Mais je voyais qu’il veillait bien aux
sous qui entraient dans ses poches. J’avoue que j’ignore à
quoi cet argent est destiné, ce qui m’oblige à être
« maandu », bien que sceptique… Je sais que beaucoup de
marabouts ne considèrent pas l’argent qu’ils reçoivent
comme le leur. Ils en gardent à peine de quoi se nourrir. Tout est
pensé pour l’amour du Créateur. Ils construisent des mosquées,
aident ceux qui sont dans le besoin, dépensent selon les recommandations
du prophète (SAW)
Le comble eut lieu quand des émigrés d’Italie ou d’Espagne,
je ne sais plus, débarquèrent avec des enveloppes. Ils furent
reçus à part. Je fus, à ma grande surprise, invité
à les rejoindre. Soit, on me prenait pour l’un d’eux ou
le marabout, grâce à son pouvoir mystique, savait que j’allais
écrire ce texte. Vous voyez ce que je veux dire ? L’argent fut
compté devant moi. Plusieurs millions de nos francs. Le marabout nous
reçut dans un salon pour nous bénir et nous remercier. J’en
eus presque les larmes aux yeux quand, sortant du salon, je vis dans la cour
des dizaines et des dizaines de paysans et ouvriers, à genoux, attendant
que le marabout vienne prier pour eux. Ces gens-là n’ont pas
des millions à offrir, mais sont, pour la plupart, remplis de foi,
et sont prêts à donner leur vie. Pourquoi ne les reçoit-on
pas dans des salons ? Ce que je raconte, je l’ai vu de mes propres yeux.
A un « marabout » qui regarde d’abord combien d’argent
je lui donne, je ne peux pas dire : « jebël naa la sama bopp aduna
ak alaaxira. » Etre « taalibe » ne signifie pas être
dupe.
Il y a certes des petits-fils, voire arrière-petits-fils de marabouts
qui sont pieux et respectables ou qui ont fait des études, sont des
ingénieurs, médecins, notaires et gagnent bien leur vie grâce
à leur travail tout en suivant la voie de l’Islam. Ce qu’ils
reçoivent comme « adiya », ils le remettent à qui
de droit. Mais j’en ai connu d’autres qui fument du yamba et il
paraît qu’il y en a qui boivent de l’alcool ou se livrent
à des activités pas très « catholiques ».
N’empêche, ils vont voir les « taalibe » pour leur
demander des « adiya ». Comment voulez-vous que je leur en octroie
des « adiya » ? Je préfère aider mes parents avec
le peu de biens que Dieu m’accorde. Je ne donne pas de leçons,
n’étant que « taalibe », mais les disciples doivent
savoir qui sont les vrais maîtres. Qu’ils nous apprennent à
connaître Dieu et non leur à donner de l’argent !
Nos hommes politiques, dans leur grande majorité, bien que conscients
de ce phénomène, le soutiennent au lieu de le combattre ou de
nous éveiller. J’apprécie le fait que Wade reste «
taalibe », bien que Président de tous les Sénégalais,
mais bon, il ne faut pas en rajouter. S’il fait quelque chose pour Dieu,
qu’il sache que notre Seigneur n’a nul besoin de télévision
pour voir nos actions. Et les bonnes actions exhibées perdent leur
valeur. Le lendemain de son élection, il se rendit à Touba,
évènement dont nous avons tous entendu parler. C’est bien
beau de le voir agenouillé devant son guide spirituel ou son «
yaakaar », mais en quoi cela nous concerne-t-il ? A sa place, je me
serais enfermé dans mon salon ou dans une mosquée, tout seul,
loin des caméras, pour prier et remercier Dieu. La foi n’a rien
à voir avec le show-biz. On se souvient de toute la « publicité
» faite sur le pèlerinage de Wade à la Mecque. Il aurait
pu effectuer cela avant d’être notre chef d’Etat ou alors
avec un peu plus de discrétion. Ne mélangeons pas politique
et religion. La foi sincère demande de l’humilité. Un
tintamarre n’est pas nécessaire, quand le musulman dit : «
La ilaha ilalah. »
Il m’est arrivé de voir Abdou Diouf à Touba et de me rendre
compte le lendemain que la visite n’avait pas été médiatisée.
Je signale, au passage, que je ne suis membre d’aucun parti politique,
pas même celui des « Doomu Soxna », n’étant
que le fils d’une femme ordinaire. Je suis « mouride » certes,
mais aucun marabout ne me dira pour qui voter, et je préfère
donner mon « adiya » aux mendiants plutôt qu’à
certains faux saints.
Bathie Ngoye Thiam