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OSONS PARLER D’ISRAEL

(Octobre 2004)

Horripilé, voilà le mot. C’est ainsi que je me suis senti en lisant dans « Le Soleil » du 19/10/2004, une contribution d’un certain Victor Diatta : « BARRIERES ANTI-TERRORISTES OU DE SECURITE : Il n’y en a pas qu’en Israël. »
En parcourant la première phrase de monsieur Diatta, il est difficile de ne pas sursauter : « La tâche, la seule, qu’accomplit la barrière de sécurité, c’est de sauver des vies, du côté d’Israël et, par ricochet, de celui de la Palestine. » Ne sait-il pas que ce mur, dénommé mur de la honte, sépare des familles, coupe des villages en deux, des gens de leurs lieux de travail, des enfants de leurs écoles, des malades des hôpitaux, mais aussi et surtout permet de prendre par la force les terres d’autrui ? Comment donc sauve-t-il des vies palestiniennes, vu que les soldats israéliens peuvent à tout moment les bombarder avec leurs hélicoptères, sous prétexte de déloger des « activistes », laissant toujours des dizaines victimes dont un grand nombre d’enfants. Ils tuent sans risquer leurs vies. Et les Palestiniens ne peuvent se venger qu’en se suicidant et mourir avec leurs victimes. Cela devrait faire réfléchir monsieur Diatta. Mais il continue dans son étonnante logique : « En effet, les statistiques montrent que partout où la construction du mur est achevée, les commandos suicides palestiniens n’ont pas réussi à le traverser. Et des vies sont ainsi préservées. » C’est comme assassiner quelqu’un et dire aux gens : « Vous avez vu ? Depuis qu’il est mort, il ne bouge plus. »
Monsieur Diatta, confondant la volonté du peuple et celle des dirigeants, tresse des lauriers au gouvernement Sharon pour avoir, sous la contrainte, accepté de voler un peu moins de terre aux Palestiniens. Il en conclut : « C’est le lieu de dire qu’ici au moins les différents pouvoirs fonctionnent normalement, chacun jouant son rôle. » Ce à quoi il fait allusion, Témoignage Chrétien.fr l’évoquait en ces termes : « La Cour suprême israélienne vient de réussir là où (presque) toutes les diplomaties du monde échouent depuis plusieurs mois : faire reculer (légèrement) le mur de sécurité. » Voilà ce qui s’est passé : « Les conseils municipaux de huit villages palestiniens, soutenus - fait unique - par des Israéliens voisins et par une association d’anciens militaires, ont saisi en février la Cour suprême israélienne. Motif : le tracé de la barrière de sécurité empiète trop à l’intérieur de la ligne de séparation de 1967, coupant 35 000 habitants de leurs exploitations, de leurs écoles et de leurs emplois. Sur place, le mécontentement est très fort : à Biddo, l’une des localités, la répression d’une manifestation a causé, début 2004, la mort de trois Palestiniens. Au printemps, un arrêt – provisoire – de la même Cour avait ordonné d’arrêter la construction d’un segment de 30 kilomètres. L’arrêt du 30 juin est définitif et exige la destruction d’une partie du mur.(…) Les trois juges de la Cour suprême ont estimé insuffisants les portails permettant d’accéder aux terres cultivées.(...) Pour autant, la Cour suprême ne remet pas en cause le principe du mur, lequel relève, selon elle, de considérations « sécuritaires » et non « politiques ».
Piqué par je ne sais quelle mouche, monsieur Diatta s’en prend à la communauté internationale, à L’O.N.U. et à la Cour Internationale de justice de La Haye, qui dénoncent, condamnent la construction de ce mur « salutaire » et exigent sa destruction, alors qu’il y en aurait des dizaines d’autres dans le monde. Il en cite une bonne dose et conclut : « Tous ces murs jouent le même rôle de protection et doivent être considérés avec la même objectivité. » Seulement ces autres « murs » se situent aux frontières de pays libres et dotés d’armées. Or celui dont il est question est une prison pour tout un peuple sans défense, tiraillé et parqué. Même des citoyens israéliens dénoncent ce « mur de la honte ». Il y a même une coordination israélienne des associations anti-mur qui veulent « La Paix maintenant. » Témoignage Chrétien.fr : « Récemment, l’armée a même tiré sur des manifestants juifs anti-mur. Preuve que la société est maintenant divisée sur la question du mur. De plus en plus d’Israéliens pensent qu’il n’existe pas de solution militaire. »
Monsieur Diatta, dans son texte, fait brusquement volte-face pour déclarer ces murs illicites, mais termine par cette surprenante phrase : « Malgré tout ce qu’on peut dire sur la barrière de protection israélienne, ce qui importe aujourd’hui, c’est le motif de son érection : la protection et la recherche de la paix. » A se demander si l’ambassade d’Israël ne l’a pas payé pour écrire cette contribution. C’est alors qu’il nous révèle que « L’espoir est aujourd’hui permis dans la région. » Et il fonde sa conviction sur les déclarations faites par un Israélien qui parle au nom de l’Etat d’Israël, dans un site israélien. Conseillons-lui de consulter aussi les sites palestiniens pour en savoir un peu plus sur le quotidien de ce peuple sous l’occupation israélienne.
Ce qui le rassure serait l’éventuel retrait israélien de la bande de Gaza. Or, « Les 250.000 colons des territoires palestiniens ont juré de faire échec au plan de retrait et jouissent de la caution morale de nombreux rabbins, dont l'ex-grand rabbin d'Israël, Avraham Shapira, qui a appelé l'armée à refuser de commettre « un péché » en évacuant les colons. » N’oublions pas qu’il s’agit du « peuple élu de Dieu ». Israël est « la terre de leurs ancêtres », la « terre promise ». Les Arabes n’y ont donc pas leur place. Qui parle de fanatisme, intégrisme, etc. ?
Cet hypothétique retrait de Gaza, on espère sans vraiment y croire que ce soit le début de l’application de la feuille de route. Ce qui fait douter les observateurs, c’est que l’État d’Israël dit qu’il va évacuer les colonies, mais pendant ce temps il « sécurise » la frontière entre Gaza et l'Egypte, en tuant des Palestiniens et en détruisant leurs maisons.
Et monsieur Diatta de terminer en s’en prenant vivement au « terrorisme » : « C’est là l’expression incompressible, dans une vraie démocratie, d’une volonté de paix qui doit être soutenue par tous ceux qui sont épris de paix, c'est-à-dire opposés au terrorisme aveugle qui est en train de gangrener notre village planétaire. Des millions de personnes innocentes, de par le monde, vivent quotidiennement dans l’angoisse, du fait de visionnaires de tous bords aux desseins sataniques… »
Il est vital de se demander qui sont les terroristes et pourquoi ils le sont.
Jusqu’en mai 1948, cette terre s’appelait Palestine. Il y eut des vagues d’immigrations juives en Palestine. C’est l’assemblée générale des Nations unies qui décida (nov. 1947) le partage du pays en deux États « : un État arabe 11 500km2 et un État juif de 14 100km2. la population juive représentait en 1946, 32% de la population totale. Cette décision rejetée par les États arabes (le Caire déc. 1947) entraîna la première guerre israélo-arabe (1948-1949). Il y eut un exode massif de la population arabe palestinienne. La décision de l’O.N.U. – dont Israël devint membre en 1949- concernant la réintégration des réfugiés palestiniens dans leurs foyers ou leur indemnisation n’a jamais été appliquée. « La guerre des Six jours » (5-10 juin 1967) permit à Israël d’occuper la bande de Gaza, le Sinaï, la Cisjordanie, la partie arabe de Jérusalem et le Golan. L’O.N.U.. adopta en novembre 1967 une résolution affirmant la nécessité du retrait des forces israéliennes des territoires occupés. Israël se refusa à restituer les positions conquises. (Avec Saddam au Koweït, on n’avait pas attendu.) Une résistance armée se forma alors autour de l’O.L.P.
M. Uzi Landau, ministre israélien, explique : « Ils (les Palestiniens) auraient pu avoir un État après la résolution de l’ONU sur le plan de partition en 1947, mais ils l'ont rejetée et déclenché une guerre. Entre 1947 et 1967 il n'y avait aucune revendication d’un État palestinien ; personne ne faisait allusion à l'existence d'une nation palestinienne, et Israël n'avait aucune implantation en Judée et en Samarie. Mais la Judée et la Samarie ont été utilisées comme bases pour des activités terroristes contre Israël. La guerre de 1967 a commencé parce qu'on estimait du côté des Palestiniens, des Jordaniens, des Egyptiens et des Syriens que depuis les frontières de l’époque, on pourrait facilement détruire l'Israël – ces frontières étaient appelées par l'ancien ministre des affaires étrangères Abba Eban les « frontières d'Auschwitz. » C’est seulement après 1967 que les Palestiniens ont commencé à revendiquer un État palestinien et à parler d’occupation. »
De Gaulle qui connaissait bien les guerres de libération nationale, déclarait, en novembre 1967 : « Israël, ayant attaqué, s'est emparé en six jours de combats des objectifs qu'il voulait atteindre. Maintenant, il organise sur les territoires qu'il a pris l'occupation, qui ne peut aller sans opposition, répression, expulsions, et il s'y manifeste contre lui une résistance qu'à son tour il qualifie de terrorisme. »
Au nom de son « droit à l’existence » ou son « droit de se défendre », Israël mate farouchement cette résistance qu’il nomme terrorisme. Plus que d’exister, Israël qui dispose d’une des plus puissantes armées au monde, détenteur de la bombe atomique qu’aucun de ses voisins n’a le droit d’avoir, tel un lion parmi des moutons, sème la violence dans cette région et par ricochet, pour reprendre l’expression de monsieur Diatta, dans le monde tout en entier.
Nul n’ignore dans quelles conditions vivent les Palestiniens. Ils doivent faire la queue, des heures durant, « pour franchir la frontière et aller travailler, visiter de la famille, faire des démarches administratives, obtenir des papiers, se faire soigner. » Pendant que des soldats braquent leurs armes sur eux. Les jeunes, chômeurs pour la plupart, enfermés dans leurs « bantoustans », finissent par se révolter et deviennent des « terroristes ».
Et à chaque fois qu’un Palestinien se fait exploser, la maison de ses parents est détruite et « la riposte » ne se fait pas attendre, causant la mort de Palestiniens innocents. On les élimine et on détruit leurs maisons et leurs équipements. Même leurs champs ne sont pas épargnés. Si c’était ailleurs, on aurait parlé d’épuration ethnique. Il est clair qu’à ce rythme là, il n’y aura à la fin plus de Palestinien en Palestine et tous les territoires seront aux seuls Israéliens. Et si tel était le but recherché ? On peut se poser la question.
Quand Sharon invite les Juifs de la diaspora à venir s’installer en Israël, où pensez-vous qu’il compte les mettre sinon sur les terres des Palestiniens sans défense. Et pendant ce temps il interdit aux réfugiés palestiniens de revenir sur leurs terres. On détruit leurs constructions et on prend leurs terres. Ceci me fait penser aux Indiens d’Amérique massacrés et chassés de leur terre. L’un d’eux disait : « Les Blancs n’ont respecté aucune de leurs promesses, sauf une : ils avaient promis de prendre notre terre, ils l’ont fait. »
On nous parle de guerres, de conflits, d’affrontements, alors qu’on a, la plupart du temps que des soldats lourdement armés qui tirent sur des gamins jetant des pierres. Si les Palestiniens avaient une armée, s’ils avaient des chars, des hélicoptères, des avions de chasse et la bombe atomique, comme les Israéliens, là on pourrait parler de guerre.
L’humanité, impuissante, ne peut que s’indigner devant ces atrocités et s’étonner que les auteurs soient issus d’un peuple qui a subi l’holocauste et les horreurs nazis. Même « Yossef Lapid, ministre de la Justice du gouvernement Sharon, a, voyant une vieille Palestinienne cherchant à genoux des médicaments perdus dans les décombres de sa maison, évoquer le souvenir de sa propre grand-mère expulsée de sa maison durant la Shoah. » Les organisations internationales ne peuvent que dénoncer et condamner, sachant qu’Israël n’a que faire de leurs décisions, puisque l’Amérique sera toujours là avec son veto. Tout le monde sait que derrière Israël, il y a l’Amérique. C’est pourquoi Bush, en envahissant l’Irak, promettait pour calmer les Arabes et la communauté musulmane, une république palestinienne en 2005, sachant qu’il y aurait les élections en 2004.
Pendant que monsieur Diatta écrivait son texte, l’armée israélienne pilonnait la bande Gaza. Une sanglante invasion cyniquement dénommée « Jour de pénitence », soi-disant pour arrêter les tirs de roquettes palestiniennes sur Israël. Au moins 109 Palestiniens tués et des centaines d’autres blessés. Parmi les morts, un nombre considérable d’enfants. Des terroristes aussi ? Une écolière palestinienne de 13 ans a été criblée de balles par un militaire israélien qui avait vidé son chargeur sur elle. Le lendemain, une autre de 10 ans fut froidement abattue. Et bien entendu, pas un Israélien égratigné. Ce qui est le plus choquant, c’est la destruction systématique et apparemment bien planifiée des maisons. Plus de 1500 personnes se retrouvèrent sans abri. La communauté internationale s’est indignée et a critiqué sans pouvoir arrêter le massacre. Il a fallu quelques appels des Etats-Unis pour que Sharon décide de mettre fin au carnage, tout en laissant entendre que les troupes continueront d'agir pour prévenir les attaques de roquettes. Depuis le début de l'Intifada, on compte parmi les tués, 3.473 Palestiniens et 955 Israéliens. Rappelons que Sharon a joué un grand rôle dans le déclenchement cette Intifada en se rendant sur l’Esplanade des Mosquées, juste par provocation. Imaginez Arafat et ses gardes du corps au Mur des Lamentations.
Lorsqu’un civil ou enfant israélien est tué, c’est la Une des journaux, alors que les centaines de victimes palestiniennes passent pour ainsi dire, presque inaperçues, tellement on a l’habitude de les voir tomber comme des mouches. Quand Israël tue, on parle d’« opérations », de « riposte », de « représailles ». Et quand les Palestiniens se vengent, on parle d’ « attentats terroristes ».
Combien de maisons israéliennes sont détruites par les « terroristes » ? Combien de détenus israéliens y a-t-il dans les prisons palestiniennes ? Est-ce M. Diatta se pose ces questions ? Il n’en a pas l’air. Parlant de prisonniers, il n’y a pas longtemps de cela, les milliers de Palestiniens incarcérés en Israël faisaient la grève de la faim pour dénoncer les conditions barbares, contraires aux droits de l’homme les plus élémentaires, dans lesquelles ils croupissent en taule. Les gardes pénitentiaires n’avaient rien trouvé de mieux que de faire des barbecues pour leur faire humer l’odeur de viande grillée.
Pour ce qui est de la « Feuille de route », les Israéliens rejettent la faute sur les Palestiniens qui devaient « mettre d’abord un terme au terrorisme. » Sharon a une armée qui peut recevoir des ordres. Arafat a un peuple oppressé qui se révolte. Tout en demandant à Arafat de lutter contre le terroriste, Sharon démantèle et affaiblit la police palestinienne. Commissariats détruits, policiers tués. Maintenant il déclare manquer de confiance aux représentants palestiniens, disant à demi-mots qu’ils sont tous des terroristes à commencer par leur chef qu’ils ont élu : Arafat. Rappelons que ce dernier est injustement séquestré par Sharon qui menace sans cesse de l’exécuter. Et Bush l’allié inconditionnel, contrairement à son prédécesseur, prétend résoudre le problème sans y mêler le chef légitime des Palestiniens.
Aujourd’hui, quiconque critique les exactions de l’État hébreu est un antisioniste et quiconque les combat est un terroriste. Mais osons en parler.

Bathie Ngoye Thiam


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