(LE SOLEIL, 30 août 2004
Le Quotidien, 1er septembre 2004
Wal Fadjri, 18 octobre 2004)
J’ai lu avec intérêt une contribution parue dans «
Le Soleil » du 20 juillet 2004. Titre : « Révolution de
la médecine ou publicité mensongère ? » Signée
: Cheikh Bamba Dioum, auteur du « BARÈME DE L’HÉRITAGE
MUSULMAN »
Monsieur Dioum met le doigt sur une plaie qui commence à gangrener
notre société : les annonces publicitaires sur nos ondes de
radios qui parlent de tradipraticiens pouvant soigner toutes les maladies.
Il se demande si ces guérisseurs sont vraiment compétents ou
s’ils sont des charlatans. Dans le premier cas, il propose que l’État
les mette en valeur pour que même la communauté internationale
puisse en bénéficier. Et dans le second cas, il souhaiterait
que l’État prennent ses responsabilités pour protéger
le peuple mal informé. Il écrit : « …les charlatans
qui ont pris en otage un peuple innocent et mal informé, doivent être
démasqués et mis hors d’état de nuire. »
Ceci est un des passages qui m’ont le plus frappé dans son texte.
Avant l’arrivée des Tubaab, nous avions une médecine aujourd’hui
qualifiée de traditionnelle avec tout ce que cela sous-entend. Cette
médecine a pourtant fait ses preuves tout en montrant ses limites,
comme d’ailleurs toute médecine.
Monsieur Dioum nous dit : « Personnellement, j’ai vécu
et assisté à des expériences dont les unes méritent
une attention particulière, du fait des résultats positifs obtenus,
et les autres une punition exemplaire aux fautifs. J’ai eu à
souffrir pendant trois ans d’un mal aigu localisé au niveau des
poumons et aucun médecin n’était parvenu à atténuer
la douleur. Je dus mon salut à un tradipraticien qui me traita en trois
jours à raison de trois verres par jour d’un mélange d’eau
et de racines. Comme il l’avait prévu, au troisième jour,
je ne sentais plus la douleur. Cela remonte à plus de 15 ans et, aujourd’hui,
je touche du bois… »
Moi-même, quand je suis enrhumé ou exténué, je
fais bouillir des racines ou des feuilles, et, en un temps record, me revoilà
en pleine forme. Je ne doute donc pas de l’efficacité de notre
médecine, mais je suis perplexe, médusé, inquiet et surtout
choqué quand j’entends des publicités mensongères
qui ne font que la ternir.
Ouvrez vos transistors et écoutez. Celui qui lit la liste des maladies
qu’un tel peut soigner, est essoufflé quand il finit son énumération.
Et nous savons tous que dans 99% des cas, il ne s’agit que de mensonges.
Les vrais guérisseurs ne s’adonnent pas à ce genre de
publicité. Les médias qui nous les vendent doivent d’abord
faire des investigations et nous dire ce qu’il en est réellement.
On ne joue pas avec la santé d’autrui. Monsieur Dioum nous en
donne un exemple : « J’ai été témoin du cas
d’un homme atteint d’une maladie des yeux. On lui recommanda un
guérisseur qui n’hésita pas à lui instiller dans
l’œil quelques gouttes d’un mélange de citron et de
cauris. La douleur fut telle qu’il perdit connaissance et se retrouva
à l’hôpital où les médecins furent obligés
de lui faire une ablation de l’œil pour lui sauver la vie puisqu’il
n’y avait plus de chance pour la vue. »
Il est vraiment temps pour le peuple sénégalais d’être
majeur et responsable. Publicité, d’accord, mais il faut quand
même des garde-fous. Ces charlatans africains, marabouts d’apparence,
sont partout. En Europe, ils fourrent leurs prospectus dans les boîtes
aux lettres ou les distribuent aux sorties des métros, aucune radio
ne faisant de la publicité pour eux. Ils prétendent pouvoir
résoudre tous les problèmes d’autrui alors qu’ils
ont souvent du mal à avoir des cartes de séjour. Chez nous,
par contre, les médias sont complices de leurs escroqueries. Il suffit
de payer pour faire passer tout ce qu’on veut, quitte à bousiller
la vie de milliers de compatriotes. On se souvient encore d’une rumeur
selon laquelle, il y a des années de cela, des Sénégalais
allaient accepter de grosses sommes d’argent pour laisser je ne sais
plus qui jeter des déchets nucléaires chez nous. Inconscience
pure et simple.
Prenons l’exemple du tabac. Dans beaucoup de pays du monde, d’Europe
notamment, la publicité pour le tabac est interdite parce qu’on
sait que ce produit « nuit gravement à la santé. »
Chez nous, on laisse ces tueurs que sont les marchands de tabac dire à
nos enfants : « Telle cigarette est plus savoureuse... » Et l’État
ne bronche pas.
Au Sénégal, il suffit de payer une petite somme pour officialiser
le mensonge et l’arnaque. On entend dire à la radio : «
Monsieur un tel, le grand guérisseur, le plus grand guérisseur
du monde, qui soigne l’impuissance, la paralysie, l’éjaculation
précoce, les hémorroïdes, les maux de têtes, maux
de ventre, etc., pour seulement 1000 francs la consultation…. »
Nos parents qui écoutent de telles déclarations font confiance
à l’annonceur et vont chez le « guérisseur »,
comme des moutons allant d’eux-mêmes à l’abattoir.
Ils ignorent que cet annonceur, quand il est malade, va à l’hôpital
et non chez le « guérisseur » dont il vante les douteuses
compétences.
Après la consultation payante, vient le traitement. La méthode
est presque toujours la même. Le soi-disant guérisseur vous demande
d’abord une insignifiante somme d’argent, une pièce de
100 francs, la plupart du temps, la couleur blanchâtre de la pièce
symbolisant la pureté. Puis, petit à petit, il vide votre compte
bancaire
Chacun de ces charlatans est tout un hôpital à lui tout seul.
Et dire que nous souffrons d’un manque d’hôpitaux au Sénégal
! Il est clair qu’il y a quelque chose qui cloche. Pourquoi nos dirigeants
et les plus nantis d’entre nous vont-ils se faire soigner à l’étranger
quand ils sont malades ? Ne savent-ils pas que nous avons des tradipraticiens
qui guérissent tout et pour très peu d’argent ? Pourquoi
chercher à envoyer Latif Guéye en France quand nous avons de
si grands spécialistes chez nous ?
L’éthique d’une radio digne de ce nom, surtout dans un
pays comme le nôtre, doit l’empêcher d’être
complice d’une arnaque si flagrante. La publicité mensongère
doit cesser.
Pendant qu’on y est, vu que j’ai les poches pratiquement vides
en ce moment, je dois saisir l’occasion pour faire passer une annonce
: « Bathie, le plus grand multiplicateur de billets de banque est à
votre disposition. Donnez-lui un million et vous en recevez dix, une semaine
plus tard. Et comme Bathie est un patriote qui veut faire entrer des sous
dans le pays, il signale aux malades des pays riches qu’il a des remèdes
au sida et à tous les cancers. Première consultation : seulement
500 000 francs CFA. Dépêchez-vous car ce grand guérisseur
a un urgent besoin d’argent. Plus vous payez, mieux vous serez soignés…Et
si les pays victimes des criquets pèlerins lui donnent dix milliards,
il éradiquera le mal…» Tout me laisse croire que je pourrais
faire passer une telle « publicité » à la radio,
moyennant une petite somme. Mon Dieu ! Où allons-nous ?
Et on se demande ce que le ministère de la Santé attend pour
s’impliquer et donner un coup de pied dans la fourmilière. On
ne peut certes pas demander à ces tradipraticiens de montrer leurs
diplômes, mais il serait bien et bénéfique pour le peuple,
d’interdire ces publicités mensongères.
Les annonceurs doivent prendre la chose avec des pincettes.
Bathie Ngoye Thiam