(Wal Fadjri, 29 juin 2004
LE SOLEIL 24 juillet et 4 octobre 2004)
Il ne s’agit pas de se faire l’avocat du diable, mais de souligner
une triste réalité.
L’infanticide ne date pas d’aujourd’hui. On se souvient
de la chanson de Thione Seck, il y a vingt-cinq ans de cela : « La femme
qui s’amuse jusqu’à avoir un bébé et aller
le jeter à la poubelle ou le tuer, comme elle est mauvaise et méchante.
Si demain ce bébé se venge… » Le phénomène
a pris de l’ampleur ces dernières années. Il n’y
a qu’à lire les faits divers pour s’en rendre compte, sachant
que les cas relatés ne sont qu’une goutte d’eau dans la
mare. Ces « méchantes femmes » qu’on écroue
sont quasiment toutes de milieux défavorisés. Signalons toutefois
que même une femme qui a une pierre à la place du cœur,
n’étrangle pas son nouveau-né le sourire aux lèvres
et ne passe pas le reste de sa vie sans remords. L’envoyer à
Reubeus-City est une double peine, en attendant celle de l’au-delà.
Si entre les humains, il y a un amour dont je ne doute pas, c’est celui
d’une mère pour son enfant.
Pourquoi donc ces femmes tuent-elles leurs bébés ? Voilà
une question qu’on doit se poser. Elles sont certes coupables, mais
ne sont pas les seules responsables. La société toute entière
devrait être sur le banc des accusés. On tue son bébé
parce qu’on a peur des représailles de ses parents ou de son
entourage.
Il y a tous les jours des femmes qui tombent enceintes alors qu’elles
ne sont pas mariées. Il faut reconnaître aussi qu’il est
de plus en plus difficile de trouver un mari. Les Saint-Louisiennes ont bien
fait de défiler le 4 avril dernier, pour mettre le doigt sur cette
crise sociale qu’accentue une crise économique. Etant complètement
démunies, avec des besoins à satisfaire, elles ont du mal à
résister à l’appât d’hommes véreux
qui ne pensent qu’à une chose…
Le libertinage est, de nos jours, une réalité tangible. Il faut
donc faire avec. Que dire de celles qui, pour soutenir leurs familles, prétendent
aller travailler et se rendent dans les hôtels ou les bars pour se prostituer
? On se doute bien de quelque chose, mais on ne dit rien tant que la marmite
est sur le feu. Et le jour où on voit un ventre ballonné, c’est
le déshonneur. Mon Dieu, il y a de quoi se poser des questions ! Ce
ne sont pas seulement les célibataires qui se retrouvent dans cette
situation, des femmes mariées aussi. Parlons de ces émigrés
qui parfois laissent leurs épouses pendant plusieurs années,
se contentant, dans le meilleur des cas, d’envoyer de l’argent
de temps en temps. Il arrive que cela dure plus d’une dizaine d’années.
La femme, à moitié abandonnée, se retrouve dans le collimateur
d’un Massamba Ndiaye du quartier. Une fois enceinte, que faire ? Risquer
sa vie en tentant l’avortement ou passer une grossesse discrète
et se débarrasser du bébé. J’en connais une qui
a rendu l’âme en essayant de se faire avorter par un « spécialiste
» pas spécialisé.
Si notre continent est le plus touché par le sida et d’autres
maladies sexuellement transmissibles, c’est tout simplement parce que
l’information y fait défaut. Le sexe est quelque chose dont on
n’ose pas parler alors qu’on y pense tout le temps. J’y
perçois même un brin d’hypocrisie. Disons-leur carrément
: « Si vous voulez vivre dans le péché, il y a des précautions
à prendre pour ne pas tomber enceinte et cela vous évitera de
tuer vos bébés. » Et mettons à leur disposition
les moyens d’y parvenir. Il y a des femmes qui pensent qu’il suffit
d’attacher très fortement un foulard autour du ventre, pendant
l’acte, pour ne pas tomber enceinte. C’est comme certains malades
du sida, en Afrique du Sud, qui violent des enfants, persuadés qu’il
faut « coucher » avec une vierge pour guérir. La sexualité
ne doit pas être un sujet tabou. Même la religion, bien que de
plus en plus délaissé de nos jours, l’aborde sans ambiguïté.
Ceci n’est pas un appel à la débauche, mais à une
prise de conscience des réalités actuelles que nous ne pouvons
continuer d’ignorer. Je suis d’accord avec Wade quand il s’érige
contre le mariage précoce qu’il qualifie de « viol pur
et simple », mais je pense qu’il vaut mieux se marier à
douze ans que de tuer son bébé illégitime à seize
ans. Ces bébés étouffés dans des sacs plastiques
ou enterrés vivants.
Les femmes des milieux aisés n’ont pas ce problème, ce
qui ne veut pas dire qu’elles restent les jambes croisées. Elles
connaissent la pilule, le stérilet, tous les moyens modernes de contraception.
Et dans le pire des cas, elles font recours à l’avortement dans
des instituts de qualité, ne mettant pas ainsi leurs vies en danger.
Je pleure pour ces bébés enterrés vivants, mais je pleure
aussi pour ces mamans que nous obligeons à commettre de tels actes.
Le tribunal qui les condamne devrait aussi condamner leurs entourages, les
parents et voisins, qui ne leur laissent pas d’autres choix, en gros,
la société toute entière, commanditaire des infanticides.
Et pourquoi n’arrête-t-on les hommes qui les engrossent ? Ces
femmes ne sont pas des monstres, mais des victimes. Chacune d’elles
aurait bien voulu garder son bébé et vivre, dans une famille
normale, avec le père de ce dernier. Même les prostituées
aimeraient se marier et avoir des enfants.
Que les parents qui, pour des convictions religieuses, ne veulent pas que
leurs enfants se retrouvent dans cette situation, leur donnent une bonne éducation
et implantent la foi dans leurs cœurs. L’exemple des femmes Ibadou
Rahmane qui ne serrent même pas la main d’un homme est à
méditer. Le Christ aussi parlait de chasteté, l’avons-nous
écouté ? Voyons donc nos réalités en face et trouvons
d’autres solutions que le tribunal.
Bathie Ngoye Thiam