(Wal Fadjri, 21 février 2004
LE SOLEIL, 23 février 2004)
On dit qu’on régresse en épousant quelqu’un d’une
caste « inférieure » ou tout simplement d’une autre
caste.
On dit que quand les parents s’opposent à un tel mariage, on
doit se soumettre à leur volonté pour avoir leur bénédiction.
On dit qu’il vaut mieux épouser un Chinois, un Toubab, un Pygmée,
un Zoulou ou que sais-je encore, qu’un Sénégalais d’une
autre caste.
D’où viennent ces « versets » ? Il serait bien que
Serigne Ndakarou et les autres marabouts nous élucident le bien ou
le mal fondé de ces croyances.
Le plus affligeant est de voir des « intellectuels » qui disent
: « Oui, mais nous avons nos coutumes. » Et qui pourtant bafouent
toutes nos coutumes sauf une, celle qui leur fait croire qu’ils sont
nobles et semble signifier que les autres sont inférieurs ou tout simplement
qu’ils sont différents des autres. Je n’aurai pas l’impolitesse
de parler d’hypocrisie, mais je pense qu’il est grand temps de
remettre les pendules à l’heure.
La France qui nous a toujours servi d’exemple a aboli la « noblesse
» depuis bien longtemps. Pour une fois qu’on aurait pu copier
quelque chose de positif …
Par ailleurs, j’imagine que les esclavagistes ne choisissaient pas nos
grands-pères selon leurs castes. Qui dira qu’un Antillais ou
un Afro-américain est de telle ou telle caste ?
Il y a des « Sénégalais de l’extérieur »
qui se demandent : « Est-ce que cela existe encore chez nous ? »
Hélas oui, mes frères et sœurs. Et que de cœurs en
sont meurtris !
Mais qui dénoncera ce mal ? Sûrement pas les « nobles »
et encore moins les griots de luxe qui en tirent profit. Il faudrait du micro-trottoir
pour constater le ras-le-bol. Saloum Ndieng chantait : « Amul géér,
amul gewel, mbëgeel a xew… »
Ce débat est toujours passionné parce que les « nobles
» ne veulent pas perdre leur « noblesse », même s’ils
savent qu’elle n’est basée sur rien. Et les « baadola
» se résignent à leur sort, comme les « intouchables
» d’Inde, tout en refusant le mélange avec d’autres
castes.
Je ne suis pas biologiste, mais je crois fermement qu’il n’est
écrit dans le sang de personne qu’il est « forgeron »
ou « cordonnier » ou autre. Ce sont pourtant des castes de chez
nous. Pourquoi pas la caste des présidents, la caste de ministres,
celle des députés, celle des instituteurs, etc. ? Et puis, la
caste des chômeurs, en voilà une qui semble avoir de beaux jours
devant elle.
« Ainsi faisaient nos ancêtres, ainsi faisons-nous. » Si
tout le monde pensait de la sorte, l’islam que les Sénégalais,
dans leur grande majorité, prétendent placer au-dessus de tout,
n’aurait jamais vu le jour. Le prophète Ibrahim, l’ami
de Dieu, avait désavoué les pratiques de son père qui
pourtant ne faisait que suivre ce que ses ancêtres avaient laissé.
Ce même Ibrahim eut, avec une « esclave », un fils nommé
Ismail, ascendant de celui que nous considérons comme « la meilleure
des créatures. » Cela devrait nous faire réfléchir.
Pour sauvegarder la pureté de la « race supérieure »,
Hitler et les siens ne voulaient pas que les sangs se mélangent. Ceux
qui ne veulent pas que nos castes se mélangent devraient les soutenir
et dire qu’ils avaient raison. Ils ne tiendront jamais un tel langage,
mais, de même que d’aucuns disent : « Je ne suis pas raciste,
mais… », ils disent : « Je ne me sens pas supérieur
ou inférieur, mais je ne permettrai jamais à ma fille (ou mon
fils) d’épouser quelqu’un d’une autre caste, même
s’ils s’aiment au point de ne pouvoir vivre l’un sans l’autre.
»
Moi, je suis de ceux qui croient que la vraie noblesse est dans le cœur
et dans les actes.
Bathie Ngoye Thiam.