(Wal Fadjri, 06 février 2004
LE SOLEIL, 19 février 2004)
Nous sommes souvent offusqués quand on nous dit que nos grands-pères
vendaient leurs frères pour de la pacotille. On nous raconte que les
Blancs éblouissaient nos aïeuls avec des perles, des miroirs,
etc. Ceux-ci, en échange, leur fournissaient des esclaves. Révoltant,
n’est-ce pas ? Que signifie cela ? Qu’ils étaient cons,
les Africains ? …
Cinq siècles plus tard, force est de reconnaître, tristement,
que rien ou presque n’a changé. Les déchets des Occidentaux
valent plus que nos vies. Tout ce qu’ils trouvent néfastes pour
eux, ils nous le parachutent et nous tendons fièrement les mains pour
le recevoir.
Aujourd’hui, on se rend compte, par exemple, que nos vendeurs de poulets
« de chez nous » sont désespérés, ne pouvant
faire face à la concurrence des poulets dits de chair. Ces derniers,
disons-le sans ambages, sont des « poulets artificiels ». Rien
de plus malsain. Ils remplissent les étagères des supermarchés
d’Europe et sont vendus à vil prix car telle est leur valeur.
Seuls les « baadola » les achètent. Les nantis se gavent
de poulets dits fermiers. « Poulets élevés en plein air
», marque-t-on sur l’emballage. Et ils coûtent cher, alors
que chez nous, c’est le « poulet-pacotille » qui est sur
le piédestal. Dans certains « milieux » du Sénégal,
on ne sert que du « poulet de chair ». C’est plus tendre,
dit-on. Et on se sent civilisé quand on en mange. Moi, je vous dis,
chers compatriotes, que si vous saviez comment ces poulets sont « produits
», vous auriez grincé des dents avant de les dévorer.
« Ventre plein, nègre content. » L’adage n’est
pas de moi. Les Américains seraient prêts, paraît-il, à
éradiquer la faim de Afrique si nous acceptons de manger leurs produits
génétiques dont personne ne veut. Et j’imagine qu’il
y a beaucoup des nôtres qui s’impatientent de les recevoir pour
les vendre à leurs frères. Nous sommes vraiment la poubelle
de l’humanité et ne cherchons pas les coupables ailleurs que
chez nous ; ce serait injuste.
Le lait en poudre est, à nos yeux, meilleur que le lait de nos bergers
peuls, tout comme une Marlboro est meilleure pour la santé qu’une
Camélia. Vous souvenez-vous des cuisses de poulet et ailes de dinde
qu’on vendait à si bon marché chez nous ? Pensez-vous
qu’ils nous seraient accessibles si les Européens en voulaient
? … Quoi ? Que me dites-vous ? La grippe aviaire ? Ne vous inquiétez
pas, Bush nous enverra des dollars pour la combattre.
Aux vaches herbivores, on donne de la farine de viande, d’où
la maladie de la vache folle. Pauvres vaches qui envient celles du Ferlo.
Maintenant, l’homme veut sonder Mars. Qu’est-ce qui nous dit que
les particules ramenées sur terre ne nous procureront pas d’autres
épidémies ? Rien. Et comme on le sait, l’Afrique est le
cobaye du reste du monde… On se souvient des conjonctivites communément
appelées, chez nous, Apollo, suite à la « mission »
américaine sur la lune. (Je ne sais pas si l'histoire est vraie ou
fausse, mais elle invite à la réflexion.)
C’est sans doute dû au fait que je ne suis pas bien informé,
mais je n’ai jamais entendu parler d’un embargo du Sénégal
sur telle viande ou tel produit. Tout est bien, pourvu qu’il atterrisse
dans nos bols. Et nous remercions nos « bienfaiteurs » qui nous
livrent leurs déchets.
Celui que nous respectons le plus est celui qui est tellement imbu de la culture
occidentale qu’il ne parle même plus sa langue maternelle ou se
sent obligé de changer son langage, son intonation, etc. ( C'est le
cas de nos « braves lions ». Quand ils parlent, on se demande
si ce sont des Sénégalais, des Français ou des Congolais
qu’on entend.) On le regarde alors avec considération. C’est
un quelqu’un, pense-t-on. Ceux qui n’y arrivent pas se contentent
de changer leurs noms. Souleymane devient Jules (même pas Salomon) et
les autres se font appeler Johnny, Jimmy, James et j’en passe. Je n’en
connais pas beaucoup de ma génération qui n’ont pas été
Django, Ringo, Crioss, Hercule ou autres. Mais je n’ai pas souvent côtoyé
des « Iso Lo », des « Baaba Maal », etc. Ce n’est
pas Koutia « Jackson » qui me contredira, « Tyson »
encore moins, avec son drapeau aux dizaines d’étoiles. Et n’oublions
pas nos compatriotes qui imitent les manières les plus abjectes des
Noirs américains (manières de s'habiller, de marcher, de se
coiffer, de parler...), à tel point qu’ils semblent en vouloir
à leurs ancêtres de n’avoir pas pris le bateau à
Gorée.
Vendez du « thiéboudieune made in USA », vous ferez fortune
car il sera plus prisé que le nôtre. Vous n’aurez qu’à
faire dire par un de nos griots ou de nos stars, moyennant une petite somme,
que même Bush mange ce « thieb yankee ». Les affaires légitiment
le mensonge.
Je suis tenté de reprendre mon ami Cheikh Bamba Dioum qui dit, parlant
du dialogue interculturel que : « l’ouverture aveugle, béate
et excessive (de notre part) n’a su capter que les valeurs négatives
des autres cultures. » (Walf. du 04/02/2004)
C’est seulement, me semble-t-il, quand un Platini dit du mal de notre
football que nous réagissons. Dommage que le foot ne se bouffe pas
! (Je souhaite que nos « lions » gagnent la CAN, tout en me demandant
en quoi cela changerait la vie de nos concitoyens, paysans, bergers et consorts.)
Il serait utile de savoir quel genre de poulet mangent nos « lions ».
Ce qui vient d’ailleurs est toujours « meilleur ». Tant
que cette mentalité ne changera pas…
Bathie Ngoye Thiam.