(LE SOLEIL, 07 novembre 2003
Wal Fadjri 07 novembre 2003)
M. Adama Sarr, Consul général du Sénégal à
Paris depuis novembre 2002, magistrat de formation et ancien ambassadeur à
Taipeh (Chine), a dit ceci : «(…) Il n’y a pas un budget
social pour soutenir les sans emplois, les étudiants en difficulté,
les personnes décédées sur le territoire français.
Il m’arrive souvent, lors des levées du corps, d’y aller
de ma poche pour présenter les condoléances de l’État
du Sénégal… » (LE SOLEIL. 24 octobre 2003.)
J’ai eu l’occasion de rencontrer cet homme, justement lors de
la levée des corps de deux étudiants sénégalais
décédés en France. Le problème qui se posait était
de rassembler l’argent nécessaire pour les rapatrier. Toutes
les bonnes volontés s’y étaient mises. Les corps furent
emmenés dans un foyer de travailleurs immigrés pour la prière.
La visite de M. Sarr étant annoncée, il fallut l’attendre,
comme s’il était l’imam ou un proche parent. Naturellement,
il prononça un discours solennel avant la prière, même
s’il n’était là, selon ses propres termes, qu’à
titre personnel. A côté de lui, un interprète traduisait
en poular ce qu’il disait en français, criant à l’instar
des « diotalikat » des marabouts : « C’est le Consul
qui veut vous parler ! » J’étais juste derrière
M. Sarr et je l’entendis préciser en rajustant soigneusement
sa veste : « Le Consul général en personne… »,
et l’autre d’accentuer : « C’est le Consul général,
en personne, qui est ici présent ! … » Rien d’anormal,
me direz-vous. Eh bien, soit ! Toujours est-il que peu de temps après,
il fut demandé au diplomate ce que le consulat pouvait faire pour aider.
Il fit savoir à l’assistance qu’il avait lui-même
contacté le Président Wade, en personne, et que ce dernier,
très touché par le drame, avait demandé qu’on lui
envoie les factures pour qu’il fasse le nécessaire. Par ailleurs,
M. Sarr avait promis que le personnel du consulat allait aussi contribuer
par solidarité, chacun donnant selon ses moyens, etc. Jusqu’à
ce jour, c’est-à-dire trois mois après, pas un centime
n’a été perçu. Depuis, Son Excellence, qui déclare
« y aller de sa poche pour présenter les condoléances
de l’État du Sénégal », n’a même
pas téléphoné, ne serait-ce que pour prendre des nouvelles.
Blessé jusqu’au plus profond de mon être par cette cruelle
et avilissante comédie diplomatique qui ne respecte même pas
les morts, j’ai pensé, affligé et révolté
à la fois : « Quand on ne peut pas soulager la douleur d’autrui,
de grâce, qu’on ne lui fasse pas des promesses de Gascon, monsieur
le Consul général, en personne ! » Et, au cas où…,
il y avait beaucoup de témoins ce jour-là. Vous en souvenez-vous
?
Si je relate cette anecdote, c’est que fréquemment, les parents
au Sénégal ou les compatriotes sur place doivent rassembler
leurs sous, la croix et la bannière, pour rapatrier les corps, les
prix n’étant pas à la portée de toutes les bourses.
Et l’État, comme le dit légitimement M. Sarr, n’a
pas de budget pour cela. (Cette information reste tout de même à
vérifier.)
J’ai, moi-même, perdu deux jeunes frères en Europe, l’un
en Italie et l’autre en France, je peux donc prétendre savoir
de quoi je parle.
C’est ainsi que m’est venue une idée tellement simple que
je me demande pourquoi les autorités n’y ont pas pensé
?
Rien qu’en France, on estime à près de 150 000, le nombre
des Sénégalais. Le consulat en a immatriculé 35 000,
apprend-on de source sûre, mais il y a aussi tous ceux qui ne sont pas
«enregistrés ». Les sans-papiers qui n’en demeurent
pas moins des Sénégalais à part entière, les «
James », c’est-à-dire ceux se présentent sous une
autre nationalité pour demander l’asile ou pour d’autres
raisons, ceux qui ont la double nationalité et la quasi-totalité
de ceux qui sont naturalisés, sans parler de ceux qui sont de passage.
Tous se considèrent Sénégalais et souhaitent être
enterrés « au pays ». Nul ne sait ni quand, ni où
il mourra.
Si l’on considère qu’il faut environ 4 000 euros pour rapatrier
un corps et qu’il y aurait 100 Sénégalais morts chaque
année en France, chiffre fort exagéré (Dieu nous en préserve
!), on peut se livrer au calcul suivant. Supposons que chaque immigré
donne 5 euros par an, soit 150 000 X 5, on obtiendrait 750 000 euros or on
n’aurait besoin que 400 000 euros pour rapatrier 100 corps. Resterait
donc 350 000 euros (environ 230 millions de francs cfa). On peut alors avancer
que 5 euros (environ 3000 francs cfa) serait trop. 3 euros (2000 francs cfa)
suffiraient largement et il resterait près de 33 millions de francs
cfa, par an.
Comme vous le devinez, l’idée est de créer une espèce
de « caisse de Sécurité (ou de solidarité) sociale
».
2 000 francs cfa sont à la portée de tout immigré alors
que 4 000 euros (plus de 2 500 000 francs cfa) seraient difficiles à
débourser en urgence, pour rapatrier un corps. Perdre quelqu’un
est déjà très pénible. Si en plus on doit se décarcasser
pour récupérer le corps… Qui ne voudrait pas éviter
cette galère à ses proches ?
Nous savons aussi qu’il y a des pays où il n’y a pas autant
de Sénégalais qu’en France. Devront-ils cotiser plus ?
Eh bien ! Non ! Si chaque Sénégalais de l’extérieur
paye ses 2000 francs cfa, on pourra rapatrier le corps de tout compatriote,
de n’importe quel coin du monde. Nous avons justement un nouveau ministère
qui doit sérieusement se pencher sur la question. Les sommes collectées
par les divers consulats seront réunies au ministère de l’Émigration
ou des Sénégalais de l’extérieur, si l’on
préfère. Ainsi, lorsqu’il y aura quelque part le décès
d’une personne ayant cotisé (car seuls ceux qui ont cotisé
pourront en bénéficier, autrement ce serait injuste de faire
payer certains pour tout le monde), ses proches n’auront qu’à
contacter le consulat de tutelle qui transmettra le dossier à Dakar
pour recevoir l’argent nécessaire. Et il resterait toujours de
grosses sommes dans la caisse. Ces formalités, effectuées par
des fonctionnaires sérieux et consciencieux ne devront pas prendre
trop de temps. Une certaine somme pourrait même être à
la disposition des consulats pour parer aux urgences... (Je sais que ce dernier
point rendra sceptiques de nombreux Sénégalais qui ne voudraient
pas que l’État soit entièrement responsable de la gestion
d’un tel programme, parce que n’ayant tout simplement pas CONFIANCE.)
Et comme tous les émigrés ne sont pas toujours au courant des
projets de l’État ou n’attendent rien de nos consulats
et ambassades à cause de quelques individus véreux qu’on
est hélas habitué à y trouver et ce depuis bien avant
l’alternance, il faudrait une vaste campagne d’information et
de sensibilisation au Sénégal même, pour que chaque famille
contacte le ou les siens et leur dise de cotiser, car on ne sait jamais. Dieu
reprend quand il veut. Et 2000 francs cfa, ce n’est vraiment pas la
mer à boire. Tout le monde y gagnerait, l’État en premier,
pourvu que les fonds ne soient pas détournés.
Et puis, vu le nombre de corps à rapatrier, même 100 francs cfa
par an feraient bien l’affaire.
Ma proposition est peut-être trop simple pour sembler réaliste,
mais elle mérite réflexion.
Bathie Ngoye Thiam.