( LE SOLEIL, 11 octobre 2003
Wal Fadjri, 14 octobre 2003)
Les xondiomb, grigris et saafara. Qu’on l’accepte ou pas, le
surnaturel fait partie de notre quotidien. De nos ancêtres à
nos descendants, certaines croyances et pratiques ont rythmé et rythment
encore notre mode de vie.
« Les morts ne sont pas morts. » Voilà une phrase qu’on
entend souvent.
La communion avec les esprits nous donne, paraît-il, des pouvoirs surnaturels.
Il suffit de faire un tour aux arènes pour voir que la chose est prise
au sérieux. Seul Tyson avait osé enlever ses grigris et ce jour-là,
il tomba du trône. Etait-ce une conséquence de son acte ou une
coïncidence ? Les avis sont partagés. Pour ma part, je ne peux
dire qu’une chose : faites-moi porter tous les grigris du Sénégal
et mettez-moi dans l’arène, face à Tapha Guéye
ou Lac de Guiers, vous aurez pitié de moi. Ah ! Faut-il d’abord
être champion pour que les grigris aient de l’effet ? Je ne demande
qu’à savoir. Manga 2 avait beau tremper un pauvre chaton dans
une calebasse d’eau et se le verser dessus, cela n’avait pas empêché
son adversaire, Tyson, d’en faire une bouchée, en deux temps,
trois mouvements. Ces « choses » font pourtant partie de notre
lutte traditionnelle et j’en voudrais à quiconque les enlèverait
des arènes. C’est beau pour le folklore, ça a son charme,
même si l’efficacité reste douteuse Je revois Mbaye Guéye
versant du lait caillé sur sa tête et Robert Diouf avec ses cornes.
Quel spectacle !
Pour ce qui est des khondiomes dans le football, « xoromsi » comme
on dit, il serait aisé d’y croire si le Sénégal
avait, au moins, vingt fois de suite, été champion du monde.
Tel n’est hélas pas le cas. On n’a jamais été
en demi-finale et on se prend déjà pour des Brésiliens.
Au lieu de chercher des entraîneurs si bien payés, on devrait
peut-être trouver de meilleurs « garabou-garabou », car
depuis le temps que les khondiomes envahissent la vie des stades, les résultats
peinent à suivre. El Hadj Diouf, lui, a son Serigne Touba. Pour ceux
qui y croient, il y a des grigris, saafara, etc. pour tout. Des fétiches
pour se protéger contre les mauvais esprits, les mauvaises langues,
les mauvais regards. Pour attirer la chance, pour être célèbre,
pour plaire aux femmes, pour rendre un enfant intelligent, réussir
un examen, trouver du travail, ne pas mourir dans un accident de circulation
ou de travail. Il y en a même un qui vous permet d’emprunter tout
ce que vous voulez, si la personne à qui vous vous adressez le possède.
Vous allez par exemple à la BICIS ou à toute autre banque, vous
demandez deux milliards et on vous les accorde. Je ne saurais tout énumérer…
Certains vont jusqu’à parler d’« anti-mort ».
Quoi qu’on dise, rares sont les compatriotes qui n’y ont pas recours.
Retenons toutefois que Mariama Diouf, la seule femme rescapée du Joola
déclare : « J’ai été toujours croyante et
je continue de rendre grâce à Dieu. Depuis le naufrage du bateau,
je ne me réfère qu’à Lui. Et je ne porte plus de
gris-gris. Toutes les amulettes que je portais autour des reins, je les ai
enlevées. Ma fille non plus ne porte plus de gris-gris. Je sais que
tout est de la seule volonté de Dieu. » (Le Quotidien. 28 sept.03.)
On peut objecter qu’elle a peut-être été sauvée
par les grigris qu’elle portait, mais est-ce que cela signifierait que
les autres n’en portaient pas ?
Le toul
J’ai rencontré beaucoup de gens qui affirment que le «
toul » existe. Ils l’ont vu de leurs propres yeux, disent-ils.
Il paraît que si on pose le « toul » sur un melon, le couteau
le plus tranchant ne parvient pas à le couper. N’est-ce pas épatant
? Un malade qui l’a bu ne peut subir aucune opération chirurgicale.
On ne peut même pas lui faire une injection ou une prise de sang, la
seringue ne pouvant percer sa peau. Les balles des armes à feu aussi
n’entrent pas. Dans ce dernier cas, nous avons un problème :
la peine de mort étant en vigueur au Sénégal, il nous
faudra alors changer le code pénal ou demander à notre ami Bush
de nous prêter des chaises électriques.
Les « deumes » et les gniokhôrs
Tous les spécialistes le disent, le deume est une personne en apparence
normale, mais dotée de pouvoirs surnaturels. Quand il vous regarde,
il voit votre intérieur, le cœur, les poumons et tous les autres
organes. Il peut voler comme un avion de chasse, il voit la nuit comme en
plein jour et il peut se transformer en hyène ou en tout ce qu’il
veut. Fabuleux, n’est-ce pas ? Mais, réputé mangeur d’âmes,
il est l’auteur de décès inexplicables. Il vous tend des
pièges et vous dévore sans que vous le sachiez. Qui dit mieux
? J’aimerais qu’un deume me contredise ou nous explique ce qu’il
en est exactement, car si les deumes existent, je suppose qu’il y en
a qui peuvent lire et écrire. La balle est donc dans leur camp. Le
droit de réponse est respecté dans la première démocratie
d’Afrique.
Le gniokhôr serait quant à lui, un fils de deume dont la mère
n’a pas dévoré d’âme durant sa grossesse.
Il peut voir l’intérieur des corps, mais est incapable de tuer.
Tels sont les dires de Kor Ndiaya, un notoire chasseur de deumes.
A cela s’ajoutent les histoires « vécues » qui affermissent
ces croyances.
Mass, un de mes meilleurs amis, m’a raconté qu’une nuit,
vers trois heures du matin, il marchait sur une rue sablonneuse pour rentrer
chez lui. Soudain, il entendit des « trak ! trak ! trak ! » derrière
lui. Comme les pas d’un cheval ferré sur une route goudronnée.
Il garda son sang froid autant qu’il put, ne se retourna pas, réussit
à pousser sa porte qui n’était heureusement pas fermée,
juste à temps, et vit passer un mouton tout blanc qui le suivait.
Quelqu’un d’autre raconte qu’une nuit, il avait envie de
fumer, mais n’avait pas de quoi allumer sa cigarette. Il sortit de chez
lui pour demander du feu aux passants ou voisins. Il vit alors des braises
courir devant lui, mais dès qu’il voulait poser sa cigarette
sur l’une d’elles, elle disparaissait.
Ismaïla Diène, un des formidables enseignants que j’ai eu
la chance d’avoir, relate dans son livre « L’APPEL DU PHARE
» : « Une nuit, tout dormait quand soudain le vrombissement d’un
car immobilisé nous arracha au sommeil. Debout, j’entendis clairement
la voix réelle de ma maman qui s’exclama : « Is, que ton
village est éloigné ! »
Ce diminutif de mon prénom n’étant usité que par
mes proches me confirma que c’était bien ma mère.
Surpris et ravi à la fois en cette heure si tardive de l’arrivée
impromptue de ma chère maman je m’emparai de ma torche. La porte
à peine ouverte, je risquai un regard dans les ténèbres
quand, jailli des profondeurs de l’opacité, un bouc tout blanc,
d’un bond, m’étala à terre d’un rude coup
de tête au front et disparut miraculeusement. »
Des anecdotes de ce genre, je crois que tout Sénégalais d’un
certain âge, vivant ou ayant longtemps vécu au Sénégal,
a dû en entendre à la pelle.
Les tuur, rab et djinné
Chaque ville ou village, dit-on, a son rab protecteur. Leuk Dawour Mbaye à
Dakar, Mame Coumba Lamba à Rufisque, Mbossé à Kaolack,
Ndoumbé Diop à Diourbel, etc. Le rab est un esprit qui peut
se présenter sous des formes animales ou humaines. Leuk Dawour est
souvent décrit comme un cheval avec une seule patte, Mbossé,
un genre d’iguane et Ndoumbé Diop, une poule avec ses poussins.
Bien des gens affirment les avoir rencontrés.
Le tuur est souvent un ancêtre qui revient vivre auprès des hommes.
« Il est le maître de la nature et des sols qui signe un pacte
avec les populations. » Il donne fertilité, richesse et savoir
aux hommes. En fait, c’est aussi un rab. On installe des autels appelés
khambs où on fait des sacrifices pour avoir sa coopération.
Entre le rab et le djinné, disent les spécialistes, il y a le
vent. Accrochez-vous. Le rab se transforme en vent pour entrer dans l’être
humain et le posséder.
Les djinns sont des créatures à part qu’il peut nous arriver
de rencontrer.
Il paraît qu’il y a des endroits à Dakar où on peut
trouver des djinns.(Etant musulman, je crois à l’existence des
anges et des djinns, mais je dois avouer que je n’en ai jamais rencontré
ou alors c’était sans m’en rendre compte). On dit que quelque
part sur la route de Ouakam, il y a, la nuit, une femme voilée au bord
de la route. Une djinné. D’aucuns disent l’avoir abordée
et la voir disparaître en un clin d’œil. Je n’ai pas
eu cette chance. Par contre j’ai passé une nuit dans les rues
du Plateau, avec l’espoir de rencontrer Leuk Dawour Mbaye ou une de
ces créatures extraordinaires. Je vous jure qu’entre trois heures
et cinq heures du matin, il n’y avait personne, à part d’innombrables
sans-abri qui dormaient sous les portes cochères ou carrément
au bord des routes. Les rues étaient toutes à moi, moi seul.
Et dire qu’il y a des problèmes de circulation à Dakar
! Du marché Sandaga à la Place de l’Indépendance,
pas un chat. Précisons quand même que c’était dans
la semaine et en période de vacances. Pas une voiture de police en
patrouille. Je me suis dit que les policiers devaient économiser l’essence
ou avaient peur de trouver le rab de Dakar sur leur chemin. (J’espère
que les cambrioleurs téméraires ne liront pas ce passage.) Je
fus bredouille. Leuk Dawour était sans doute en vacances.
J’ai une fois pris un taxi pour aller dans un endroit où j’espérais
avoir des certitudes. Le chauffeur qui au début ne me prenait pas au
sérieux me fit savoir qu’il avait transporté toutes sortes
de clients, mais pas des clients qui cherchent des djinns. Arrivé à
destination, je lui dis, après avoir payé : « Attends-moi
et si tu m’entends crier, viens à mon secours. » A peine
eus-je posé mon pied par terre qu’il démarra en trombe.
Le traître ! Je me rendis sur les lieux, bredouille, encore une fois.
Je suis aller consulter des saltigués, des ndeupkats et d’autres
spécialistes réputés, je suis resté sur ma faim.
Rien que des paroles mystificateurs. Tous cependant affirment, mordicus, l’existence
de ces « êtres », leur gagne-pain.
Je ne dis pas que ces choses n’existent pas et je ne dis pas le contraire
non plus. Je me dis tout simplement que si tout cela est vrai, pourquoi ne
pas nous en servir pour développer notre pays ?
Si le « toul » existe, on doit le commercialiser. Les G.I. américains
qui, dans le bourbier irakien, mordent la poussière tous les jours,
payeraient cher pour l’avoir. Imaginez toutes les armées du monde,
toutes les polices, toutes les personnalités politiques, toutes les
stars, sans parler des gangsters et autres, venir acheter notre « toul
», produit bien de chez nous que même les Japonais ne pourront
pas copier. Il faudra alors l’exporter en fonction du prix des gilets
pare-balles, en tenant compte du fait qu’un tel gilet ne protège
que le buste alors que le toul protège tout le corps, de pied en cap.
Un « ndomba » devra donc coûter au moins deux fois plus
cher qu’un gilet pare-balles. N’êtes-vous pas de mon avis
? Nous serons alors plus riches que les exportateurs de pétrole. Sans
parler des « khondiomes » que nous vendrons à tous les
clubs sportifs du monde, et les Khambs que les milliardaires saoudiens installeront
dans leurs palais. Les joueurs de loto ou de PMU d’Allemagne, de Chine
et d’ailleurs viendront acheter nos saafara et amulettes qui augmentent
la chance. Imaginez les chefs d’Etat occidentaux avec leurs tuur. Des
dollars à gogo !
Nous aurons des universités de sorcellerie où même les
extraterrestres viendront prendre des leçons. Madame Soleil, la grande
devineresse de France, et consorts seront à la maternelle.
Si les tirailleurs sénégalais étaient des « deumes
», ils auraient probablement tuer Hitler sans avoir besoin de tirer
des coups de feu. L’armée sénégalaise devrait enrôler
des « deumes », rien que des « deumes ». On aurait
alors la plus puissante armée du monde, loin devant les Etats-Unis.
Si Ben Laden avait des « deumes », Bush aurait du fil à
retordre.
Aussi si on avait des « gniokhôrs » dans nos hôpitaux,
on aurait plus besoin de nous encombrer de machines coûteuses et souvent
défectueuses pour effectuer des radiographies. Et que dire de tous
ces appareils ridicules que les médecins utilisent pour écouter
les battements du cœur ou que sais-je encore ? Kor Ndiaya soutient que
les deumes et les gniokôrs voient tous les viscères et, pouvant
suivre la circulation du sang dans les veines et artères, ils seraient
même en mesure de compter le nombre des globules blancs et des globules
rouges. Les Blancs sont décidément loin derrière nous.
Qu’est-ce qui nous dit que les deumes et gniokhôrs ne pourraient
pas guérir des cancers et d’autres maladies devant lesquelles
la médecine des Toubab s’avère impuissante ? Le ministre
de la Santé doit méditer là-dessus.
Pour les problèmes de circulation à Dakar, le gouvernement n’a
qu’à demander l’assistance de Leuk Dawour et les gens seront
plus disciplinés que des soldats. Plus besoin de mettre des policiers
aux carrefours des routes.
Les magistrats seront remplacés par ces marabouts-guindel que nos bonnes
femmes vont consulter pour savoir qui a volé leurs bijoux ou argent.
Dès qu’un accusé entrera dans la cour, ils lui diront
: « Vous êtes untel, habitant tel endroit. Tel jour, à
telle heure, vous avez fait ceci et cela… » Plus question de lever
la main droite et dire : « Je le jure. » Les avocats deviendront
chômeurs ou Présidents ou alors ils devront changer d’école
et aller apprendre le langage des cauris. L’Europe a ses réalités,
l’Afrique les siennes.
Vu que nous raffolons de ministères, pourquoi pas un « Ministère
de la Sorcellerie » que le monde tout entier nous envierait ?
Sinon rangeons ces sornettes dans nos oubliettes et travaillons ardemment,
chacun dans son domaine et selon ses compétences, pour le développement
de notre cher pays.
Bathie Ngoye Thiam