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QUAND LA TERRE TREMBLERA A DAKAR…


(Wal Fadjri, 27 septembre 2003
LE SOLEIL, 03 octobre 2003)

Les habitants d’Alger se souviendront longtemps du tremblement de terre qui a secoué leur ville et ses environs, le mercredi 21 mai 2003. D’innombrables bâtiments effondrés, 2251 morts, 10243 blessés et des centaines de disparus ensevelis sous les décombres. A Boumerdès, ville la plus touchée par le séisme, le président Bouteflika fut accueilli par des jets de pierre. « Des cris hostiles, des pierres qui volent, un cordon de sécurité débordé, des coups de pied lancés dans les portières des voitures du cortège officiel... » Grande était la colère des sinistrés.
Je ne souhaite guère un tel malheur à Dakar, mais nous devons être vigilants et prévoir le pire, même si les sismologues ne nous prédisent rien d’alarmant. (Il est vrai qu’Alger, contrairement à Dakar, a connu bien d’autres séismes dont celui de 1715 qui avait fait 20 000 morts.)
Le problème, le voici : Dakar est trop plein. Il n’est pas donné à tout le monde d’acheter un terrain et la population ne cesse de s’accroître. Il faut bien abriter tous ces gens, n’est-ce pas ? Si vous avez remarqué, les toits-terrasses sont en vogue et les cours s’amenuisent. Tout est bon pour gagner de l’espace. Quoi de plus simple que d’ajouter quelques étages à son bâtiment ? Avez-vous une maison à louer ? Quelques étages supplémentaires vous feront gagner plus d’argent. Il n’y a qu’à contacter le maçon du coin qui ne peut même pas lire un plan. Système poteaux-poutres en béton armé avec un remplissage de briques creuses. Ces briques qui s’effritent quand on les caresse. On fait dessiner un plan bidon par quiconque peut se servir d’une règle et d’une équerre, puis on se procure la signature d’un architecte, moyennant une petite somme et l’affaire est dans le sac. Le permis de construire n’est souvent qu’une formalité sans importance. Ceux qui n’ont pas les moyens de rénover leurs maisons comme il se doit, bricolent comme ils peuvent. Seulement, ces constructions manquent souvent de stabilité et constituent un danger pour la population.
Aux Parcelles Assainies, il y a quelques mois de cela, une maison s’était effondrée sur ses locataires parce qu’on tentait d’y rajouter un autre niveau. La terrasse avait cédé sous le poids du sable et des sacs de ciment qu’on avait posés dessus pour fabriquer des briques. On en avait parlé parce qu’il y avait perte de vie humaine.
Comme avec Le Joola, nos autorités semblent attendre les catastrophes pour prendre des mesures et nous dire que « plus rien ne sera comme avant. » Médecin après la mort.
Ce qui est ahurissant, c’est que nous avons des lois, mais qui les respecte ou les fait respecter ? Nous lisons pourtant dans le code de l’urbanisme :

« Chapitre 2.- L'autorisation de construire
Article 69 :
Nul ne peut entreprendre, sans autorisation administrative, une construction de quelque nature que ce soit, ou apporter des modifications à des constructions existantes sur le territoire des communes, ainsi que dans les agglomérations de plus de 5 000 habitants et les autres agglomérations désignées par décret ou celles dont l'accroissement démographique, l'extension et les fonctions sont importantes. Cette obligation s'impose aux services publics et concessionnaires de services publics de l'Etat, des départements et communes comme aux personnes privées.
Section 3.- Sanctions relatives aux constructions menaçant ruine
Article 80 :
L'autorité administrative compétente pourra prescrire la réparation ou la démolition des murs, bâtiments ou édifices quelconques lorsqu'ils menacent ruine et qu'ils pourraient, par leur effondrement compromettre la sécurité, ou lorsque d'une façon générale, ils n'offrent pas les garanties de solidité.
Le ravalement peut être prescrit dans le cas où les façades présentent un caractère inesthétique et vétuste.
Si après mise en demeure, un propriétaire ne répare pas ou ne démolit pas une construction menaçant ruine, il sera passible d'une amende de 100.000 à 10.000.000 de francs.
Un décret précisera, en tant que de besoin, les modalités d'application de ces dispositions relatives aux constructions menaçant ruine.
Section 5.- Sanction relative à l'autorisation de construire
Article 85 :
Toute personne qui réalise ou entreprend, fait réaliser ou fait entreprendre, modifie ou fait modifier des constructions ou installations sans autorisation administrative ou en violation des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur, est punie d'une amende de 100.000 à 2.000.000 de francs.
Les architectes, entrepreneurs ou toute autre personne ayant concouru à l'exécution des dites constructions ou installations, sont punis des mêmes peines. »
Qui dit que nous n’avons pas un ministère de l’Habitat et de la Construction ?
Notons cependant qu’à l’heure où l’on s’inquiète des problèmes de circulation à Dakar, on trouve dans certains quartiers plus ou moins en chantier, des lotissements plus que troublants. Dans la Cité Sonatel, par exemple, il y a des rues tellement étroites que deux voitures ne peuvent pas s’y croiser et les enfants doivent y trouver leurs espaces de jeux. A se demander si le lotissement est l’œuvre des résidents ou de nos autorités hautement compétentes. Le laisser-aller et le je-m’en-foutisme semblent atteindre leurs paroxysmes chez nous.
Je veux bien croire que le Sénégal est une terre bénie, mais cela ne nous met pas à l’abri des calamités. Si les plus optimistes écartent la possibilité d’un séisme à Dakar, rien n’empêche un ouragan de traverser notre capitale et laisser un lourd et triste lot de désolation. Un de ces hurricanes qui balaient les côtes américaines nous serait fatal.
A bon entendeur…

Bathie Ngoye Thiam


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