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CETTE HYPOCRISIE AU SUJET DU YAMBA

(Wal Fadjri, 09 mai 2003)

Mon oncle, Baay Ndiaga Dioum, à qui l’on racontait que la police avait arrêté des trafiquants de yamba, répondit : « Moi, si on me demandait d’arrêter les trafiquants de yamba, j’aurais mis en prison quiconque je vois avec une cigarette. » On lui dit : « Mais gorgui, ce n’est pas la même chose. » Il répliqua, sûr de lui : « Aah ! C’est tout à fait la même chose. »
Je ne fais surtout pas l’apologie du yamba et encore moins celle du tabac et de l’alcool. Je veux juste souligner une anomalie judiciaire. On incarcère les voleurs d’œufs et on laisse courir les voleurs de bœufs. Comment se fait-il que le tabac et l’alcool soient licites et le yamba illicite ?
Des milliers de jeunes Français ont manifesté contre le projet de leur ministre de l’intérieur qui veut pénaliser davantage la consommation de yamba. Super Sarko dit qu’il n’y a pas des drogues douces et des drogues dures et qu’il n’y a pas de consommation personnelle. C’est interdit par la loi, un point, un tiret. On peut le soutenir, mais on se demande comment il fera appliquer sa loi. 60 pour cent des adolescents affirment tirer plus ou moins régulièrement sur des « pétards », sans parler des adultes. Les mettre tous en prison reviendrait à laisser les rues de la « douce France » aux pigeons et aux immigrés. ( Si on essayait la même chose au Sénégal, ce serait sans doute plus catastrophique. Pourtant, les « Faits divers du Soleil » relatent tout le temps des arrestations de « trafiquants » possédant cinq ou six cornets de yamba. Sauf qu’on n’oublie de signaler que certains des agents qui effectuent les opérations sont souvent plus « high » que les « délinquants » qu’ils menottent.)
Quels arguments sont avancés pour prohiber le yamba ou le défendre ?
D’aucuns disent que c’est nuisible pour la santé, alors que d’autres vont jusqu’à déclarer que c’est un médicament.
La dépendance au yamba reste encore à prouver alors que celle à l’alcool et au tabac est évidente. ( Des spécialistes donneraient plus d’informations.)
Il paraît que le tabac tue plus de 60.000 personnes par an, rien qu’en France. « Tuer des millions de personnes pour avoir des millions de dollars. » (On n’a pas encore dit que le yamba fait autant de victimes.) Et tous les États sont complices de ces crimes organisés. Ils se contentent d’augmenter chaque année les taxes, ce qui est une bonne affaire pour eux. Ou alors, pour se donner bonne conscience, ils interdisent la publicité du tabac ou mettent des panneaux « Non fumeur » dans certains lieux publics. Mascarade.
Pour ce qui est de l’alcool, n’oublions pas qu’il a ravagé les Indiens d’Amérique, autant que les canons yankees. Et que dire des aborigènes d’Australie ? On n’a même pas besoin d’aller aussi loin. Il n’y a qu’à voir tous ces clochards qui jonchent les rues des grandes villes. Et combien d’accidents de circulation mortels dus à l’alcool ? Donnez le volant à quelqu’un qui est « stoned » et à un autre qui est ivre. Le second risque plus d’aller à « Barsaq ». Cela est démontré. Les ménages détruits par l’alcool sont innombrables, combien le sont par le yamba ?
La Hollande fait ce qu’aucun pays africain n’oserait se permettre : « légaliser » et commercialiser le yamba. Du yamba qu’on fait pousser avec des produits chimiques et des lumières artificielles. Le produit est « made in Hollande » et l’argent est pour la Hollande.
On détruit les plantations de yamba dans les pays pauvres pendant que les Hollandais en produisent librement et que les compagnies de tabacs construisent de nouvelles usines et l’on fête chaque année l’arrivée des nouveaux vins.
Il serait logique de croire que la seule différence est que le tabac et l’alcool viennent des pays riches, le yamba des pays pauvres. Les Américains qui sont les premiers producteurs de cigarettes sont aussi ceux qui s’opposent à la réduction des prix de certains médicaments pour sauver des vies dans les pays pauvres. Par contre le paquet de Marlboro est deux fois moins cher au Sénégal qu’en Allemagne. Et ces mêmes Américains qui veulent la paix et la démocratie dans le monde, continuent de nous vendre des mines antipersonnel et s’opposent à leur interdiction. Les autres peuvent crever, tant que ça rapporte des dollars.
Tout laisse à croire que quand les Occidentaux fabriqueront des usines de yamba, le produit sera légal et ils nous le largueront par tonnes. Qu’en serait-il si c’étaient les pays pauvres qui exploitaient le tabac et l’alcool ? Ce serait, je crois, tout simplement illégal. Les grandes puissances ont le droit de tuer, les petites n’ont même pas celui de blesser. Et le comble est que ces dernières se contentent d’appliquer les lois que les premières leur imposent.
Fela Kuti semble alors crédible, lui qui voulait être président du Nigéria pour légaliser et exporter le yamba naturel.
La vraie solution est à Touba : pas de tabac, pas d’alcool, pas de yamba. Tout le reste, c’est de l’hypocrisie et une affaire de gros sous pour les pays qui dominent ce monde. Qu’on ne s’y trompe pas ! Baay Ndiaga avait raison. Dommage qu’il ne fût pas de ceux qui ont établi les lois.

Bathie Ngoye Thiam.


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