POUR LE DÉPUTÉ ABDOULAYE MAKHTAR DIOP, BON NOMBRE D’ÉMIGRÉS SONT DES RENÉGATS.
(Walfadjri, 19 septembre 2012.)
Qui a dit que l'insulte, c'est l'arme des sots ? Sûrement pas l’homme dont la moustache semble aussi fournie que celle du gouverneur Louis Faidherbe, administrateur colonial qui faisait appliquer à la lettre les lois de l’époque. Monsieur, lui, a un titre d’administrateur civil, mais, bien que potentiel Serigne Ndakarou, il a, depuis un quart de siècle, jeté son dévolu sur le métier de ministre. Comme il est aussi historien, il doit savoir qu’à sa naissance, les natifs des 4 Communes (Saint-Louis, Dakar, Gorée et Rufisque) étaient, sur les papiers, des Français. Cela en faisait-il des étrangers dans leur pays ?
Abdoulaye Makhtar Diop, hors du gouvernement et avec de maigres espoirs d’y retourner sous Macky, s’est lamentablement donné en spectacle devant les élus du peuple. « Renégats au sens propre du terme ! », hurlait-il pour qualifier les Sénégalais titulaires d’un autre passeport, notamment un ministre de la République, récoltant des huées bien méritées. Même les pensionnaires des hôpitaux psychiatriques s’expriment souvent avec plus de retenue. C’était tellement grotesque que ceux qui lui ont fait l’aumône d’un siège dans l’hémicycle, c’est-à-dire les responsables du Parti de la vérité pour le développement (Pvd), se sont empressés de le rappeler à l’ordre.
Laay Mataar connait-il les raisons pour lesquelles certains de ses compatriotes se font naturaliser ailleurs ? Croit-il vraiment que c’est pour renier leurs origines, leurs parents, leur peuple et leur culture ? La contribution des émigrés au développement du pays n’étant plus à démontrer, mais obtenir des visas, des titres de séjour et certains emplois devenant la croix et la bannière, sait-il que combien de familles sénégalaises remercient Dieu parce qu’un des leurs a pris une autre nationalité pour subvenir à leurs besoins ? Taxe-t-il ces gens de « renégats » ? Leurs familles sont donc complices et « renégates » aussi. Que pense-il de ces mamans fatiguées qui, la mort dans l’âme, prient pour que leurs fils partis en pirogue arrivent sains et saufs et obtiennent des papiers leur ouvrant les portes d’un avenir moins sombre ? Ceux qui sont prêts à mourir pour se tirer de la misère et pour aider leurs parents, trahissent-ils leur patrie s’ils prennent une autre nationalité pour y parvenir ? Laay Mataar s’estime-t-il plus sénégalais ou plus patriote qu’eux ? Nul ne les qualifie d’étrangers, encore moins de renégats, à part ceux qui, comme le « député », ont besoin d’un papier pour reconnaître leurs frères et sœurs. Si l’ambassade des Etats-Unis ou d’un quelconque pays européen décidait de naturaliser tout Sénégalais qui le souhaiterait, Faidherbe Diop se serait arraché la moustache car bon nombre de ses concitoyens, y compris peut-être quelques uns de ses proches, seraient alors des « renégats ». Les temps changent. Le monde est en marche. Il faut composer avec les réalités d’aujourd’hui.
Comme le peuple réclame des audits, on pouvait légitimement s’attendre à ce que ce familier des affaires de la République attire l’attention sur le budget des compétitions sportives, les logements et terres de l’Etat occupés par des gens qui n’en ont pas le droit, les pilleurs de deniers publics qui retournent sans cesse leurs vestes pour continuer leur besogne ou pour échapper à des poursuites judiciaires… Mais bon, il a préféré la « Sénégalité ». Est-il acceptable que des frères et sœurs ayant une double nationalité participent à la gestion des affaires publiques ? C’est un débat qui ne manque quand même pas d’intérêt, mais qu’une personne digne de respect doit susciter sans insulter qui que ce soit.
Si le Code de la nationalité dit que tout Sénégalais qui prend une autre nationalité perd sa nationalité sénégalaise ou n’a pas le droit de mettre ses compétences au service du pays en participant à sa gestion, il ne faut pas l’appliquer aveuglément, mais voir son absurdité et l’abroger. Quand une loi est erronée ou obsolète, il faut la changer. Cela fait partie de ce qu’on attend de l’Assemblée nationale. Par exemple, selon l’article 28 de la Constitution, le président de la République doit savoir parler, lire et écrire couramment la langue française. Cela signifie que plus de 50% des Sénégalais de souche n’ont pas le droit de diriger leur pays, mais n’importe quel francophone qui prend la nationalité sénégalaise peut briguer un mandat. Ne serait-il pas mieux d’y rajouter que le candidat doit parler couramment au moins une de nos langues nationales ?
Pour conclure, rappelons que, depuis l’indépendance, des binationaux dont Senghor ont participé à la gestion des affaires publiques. Seuls deux d’entre eux, culturellement hors circuit, ont posé problème : le très puissant Jean Collin et le prince Karim, ministre du Ciel et de la Terre. Pourtant, notre Gbagbo national les côtoyait volontiers dans le gouvernement sans piper mot sur leur « sénégalité » douteuse. Ça ressemble fort à du « Su ma lekkul ci ndab li, xëpp ci suuf ».