(Wal Fadjri, 07 août 2012.)
A peine avons-nous commencé à applaudir, que nous voila bouche bée devant une avalanche d’informations contradictoires qui nous plongent dans un sentiment diffus de confusion. En ces temps de vaches maigres où la dépense quotidienne est le casse-tête de bon nombre de Sénégalais, alors que d’autres font la bamboula avec l’argent du pays, Macky Sall, sous la pression populaire, a pris l’engagement de rompre avec les anciennes pratiques. C’est la chasse aux trésors volés, la fin annoncée du partage du gâteau et des scandales financiers. Les biens de tous ne doivent pas garnir quelques poches privées. L’espoir renait.
C’est alors qu’un journaliste nous informe que le khalife général des mourides a, avec un sens remarquable de l’équité et un patriotisme éclairé, recommandé au président de la République de ne pas distribuer des enveloppes bourrées d’argent aux marabouts, mais de dépenser dans des projets de développement, c’est-à-dire pour tous. Une bonne partie des Sénégalais approuve en louant cette grandeur d’âme. Et, lit-on, « Durant son séjour à Touba, le président de la République a suivi scrupuleusement cette recommandation du khalife qui prône une gestion vertueuse des deniers de l’Etat. Par conséquent, aucune somme d’argent n’a été remise aux chefs religieux reçus. »
Peu de temps après, on apprend que des chefs religieux ont exprimé leur désapprobation et le khalife en a eu vent. De quoi peuvent-ils se plaindre, ces citoyens peu ordinaires ? Mais est-ce que la presse est toujours fiable ? Elle est revenue pour nous dire que le khalife a, suite à ces plaintes, apporté un cinglant démenti au journaliste, révélant qu’il n’a pas eu de tête à tête avec Macky et qu’il ne s’immisce pas dans ces affaires d’argent parce que seule la religion l’intéresse.
Le feuilleton ne s’arrête pas là. Notre presse locale, encore elle, rapporte que Macky Sall, avant d’aller à Touba, à l’occasion du Conseil des ministres décentralisé à Diourbel, avait remis 50 millions de francs à un proche du khalife. « Un montant destiné à la prise en charge des dépenses relatives au séjour du Président et de sa délégation à Touba. L’argent finit par être divisé en trois parts inégales. D’après des dignitaires mourides ayant participé à l’arbitrage, 10 millions FCfa ont été remis à un marabout Mbacké-Mbacké pour la prise en charge des hôtes de Diourbel où le Président Sall a effectué la grande prière du vendredi après le Conseil des ministres décentralisé. Ensuite, 20 millions FCfa ont été mis à la disposition du Comité d’accueil pour faire face aux dépenses relatives au séjour du chef de l’Etat et de sa délégation à Touba. Les 20 millions FCfa restants étant destinés au Khalife général des Mourides en guise de «hadiya» (cadeau). Seulement, des proches du Khalife jurent que le Khalife n’a pas reçu l’intégralité de la somme. »
Alors là, il y a quelque chose qui ne va plus. Quelques jours auparavant on lisait ceci dans la presse :
« Au Baol, l’Etat a sans aucun doute fait des économies de quelques millions durant ce Conseil des ministres. A part les frais de carburant, il n’a pas décaissé de l’argent pour prendre en charge les officiels qu’il a déplacés dans la région de Diourbel. Cette fois-ci encore, Touba, qui a hébergé toute la République dans ses résidences, a aussi nourri ses hôtes à ses propres frais. Contrairement à Saint- Louis, Kaolack et Ziguinchor, le séjour de 48h a été entièrement pris en charge par le khalife général des mourides. Alors que Macky Sall a insisté pour prendre en charge la restauration de son gouvernement, Cheikh Bassirou Mbacké Abdou Khadre, porte-parole du guide spirituel des mourides, lui a répondu : «Si vous payez, c’est comme si vous étiez venu dans un restaurant. Alors que ce n’est pas le cas.» A Diourbel, les mêmes comportements ont été dupliqués. Serigne Mountakha Bassirou Mbacké a offert gracieusement les repas à la centaine de personnes qui accompagnait le président de la République. »
Ciel ! Deux versions opposées ! Qui a déboursé ? La communauté mouride, nul ne l’ignore, a le sens de l’hospitalité et les moyens de s’occuper convenablement de ses hôtes. Pourquoi donc y a-t-il une autre version ? Est-ce de la fumée sans feu ou y a-t-il anguille sous roche ?
Dans cette regrettable confusion, un « bëk-néeg » (chambellan) du Khalife général des mourides a été agressé. Par qui ? Pourquoi ? Allez donc savoir. Les « rumeurs » nous engagent, cependant, à penser que les marabouts qui ne s’intéressent qu’à la religion, ont peut-être dans leur entourage des gens que l’argent préoccupe et pour qui les « adiya » sont des fonds spéciaux qu’on leur a discrétionnairement alloués. Oui, c’est un sujet sensible, voire tabou, mais entre politiciens et marabouts, des biens appartenant à tous les Sénégalais s’évaporent comme par enchantement et une certaine presse nous maintient dans le brouillard.
Ah ! Si la charia était appliquée, les prothèses de mains auraient la cote.