(Wal Fadjri, 24 décembre 2010.)
Mody Niang rappelle souvent cette assertion du président Wade : « Senegale, boo ko laajee lumu reere biig du la ko wax, te gëmul ludul nguur ak xaalis » (Le Sénégalais oublie vite et ne croit qu’à l’argent et aux honneurs.) Ces paroles sous-tendent la politique du vieil homme et explique son attitude envers ses compatriotes. Il nous gave de promesses qu’il ne tient jamais, persuadé sans doute que nous les oublions aussitôt. Par contre, quand il se fixe un objectif, quelle que soit son inopportunité ou son impopularité, il n’en démord jamais. Si l’opinion publique s’y oppose, il laisse passer un certain temps, puis nous met devant le fait accompli ou représente le même projet sous un autre nom, prenant bien soin d’accorder quelques faveurs (argent et honneurs) à d’aucuns qui se font les avocats du diable. Nous l’avons entendu déclarer : « Moi, je sais ce que je veux, où je vais et comment y arriver. » Que veut-il au juste ?
Il n’est un secret pour personne que ce qui empêche notre roi de dormir est : comment nous imposer « démocratiquement » son fiston. Lors de son premier mandat, il avait dit, dans une interview, qu’il était prêt à quitter le pouvoir et se limiter à donner des conseils à son successeur. Il est évident qu’il ne faisait pas allusion à quelqu’un de l’opposition, d’autant plus que, dans ses élucubrations, le Pds est au pouvoir pour une cinquantaine d’années. Idy, se croyant tout désigné, se déclarait jardinier des rêves de son « père ». Un fils pouvant en cacher un autre, Karim, certifié compétent et travailleur par son géniteur biologique, abandonna son juteux boulot de super banquier à Londres pour venir gérer nos minables budgets et se contenter d’un petit jet privé à 6,5 milliards de nos francs pour ses déplacements. En 2007, Me Wade donna le profil de son successeur : « Ce sera quelqu'un comme moi, qui travaille beaucoup, intelligent, qui écoute les populations, qui aide les populations, qui a de bonnes relations internationales, qui est représentatif... En tout état de cause, ce n'est pas Idrissa Seck. » Ey waaya ndaw ! On dirait que c’est Dieu qui parle.
Mais le problème de Me Wade est que son successeur apparemment attitré traîne de graves lacunes : « Il est très toubab ; il n'est pas bien imprégné de la culture sénégalaise, il ne parle pas bien wolof et il ne cerne pas tous les rouages de l'administration ». Malgré cela, il semble estimer qu’il n’y a pas mieux que lui pour diriger le Sénégal.
On a donné à Karim tous les pouvoirs possibles et imaginables, mais le peuple le rejette. Comment le faire entrer dans les cœurs des Sénégalais ? Le Garçon a beau distribuer des cadeaux et privilèges par-ci, par-là, rien n’y fait. On se dit que si l’on injecte au peuple une bonne dose de Karim, matin, midi et soir, via les médias, son organisme finira par s’y habituer et l’accepter. Tous les organes de presse présidentiels étant saturés par l’omniprésence du père narcissique, il faut donc en créer d’autres, spécialement pour le fils prodigue de la République.
En juillet 2009, un bruit courait comme quoi Karim Wade allait créer un groupe de presse avec journal, radio et télé. Ce sondage d’opinion à peine déguisé n’enfanta qu’indignation. Comment pourrait-on refuser l’ouverture d’une chaîne de télé à notre Youssou Ndour « made in Senegal », et l’accorder à un demi « doxondeem » dont l’intérêt pour le pays n’a été manifeste qu’après l’accession au pouvoir de quelqu’un qui se trouve être son papa ? On annonça alors la création d’un groupe de presse Sopi. Cela posait problème, car donnant à chaque parti politique le droit d’ouvrir sa télé. Wade-père décida de l’appeler « télé panafricaine » ou de donner naissance à une autre portant ce nom. Probablement, aucun pays africain ne s’est senti concerné. « Buki wiiri-wiiri, jaari Ndaari ». Le voilà contraint de revenir à son groupe de presse Sopi, ce qui l’oblige à se dire prêt à donner des fréquences à tout parti politique qui le désire.
Mon esprit tordu me fait penser qu’à tout opposant sérieux qui voudra s’y hasarder, il sortira la même rengaine : « J’ai dit que n’importe quel Sénégalais peut ouvrir une télé ou une radio s’il le souhaite, mais à la condition qu’il ne finance pas son projet avec l’argent de l’Extérieur. C’est clair…J'ai des renseignements très sûrs. Si quelqu'un prend de l'argent ailleurs pour avoir une télé, je ne peux pas l'accepter… L’audiovisuel est un outil dangereux qui ne doit pas tomber entre les mains de n’importe qui » « Démocrate » comme il est, il a tenu à signaler que tous les partis ne peuvent pas avoir de radios et de télévisions, mais les portes du GSM (Groupe Sopi Média) sont ouvertes à l’opposition. Vous y croyez, vous ? D’ailleurs, avec quel argent a-t-il financé son projet ? Et que deviendra ce groupe de presse si le Pds quitte le pouvoir ?
Le cinéma Al Karim agonisant, et tant d'autres étant fermés, le Protecteur des Arts et Lettres, va, au nom du Groupe Sopi Média, lancer la télé Al Karim. Les sujets n’auront plus à se déplacer pour admirer sans relâche leur Prince omnipotent et ses hauts faits.
Pendant que les gens glosent sur la recevabilité d’une potentielle candidature du père pour un troisième mandat, alors que la constitution n’en permet que deux, sur son âge avancé et son état de santé douteux, ou sur le Fesman aux allures familiales, le fils, lui, continue à étendre ses tentacules, sans coup férir.
Bathie Ngoye THIAM.