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CALIGULA INSPIRE-T-IL LES WADE ?

(Wal Fadjiri, 09 juillet 2010)

Bon nombre de Sénégalais sont persuadés que Karim ne peut en aucune manière succéder à son père. Ils risquent de tomber des nues. Caligula, un empereur romain disait : « J'aime le pouvoir car il donne ses chances à l'impossible. » Au Sénégal, le pouvoir des Wade est sur le point de réaliser un miracle.
Quand Caligula signalait à droite, c’était pour tourner à gauche. Imprévisible et inconstant, il lui arrivait de critiquer son prédécesseur pour ensuite faire pareil ou pire que lui. « L'argent, il le dépensait sans compter, mais il thésaurisait aussi de façon sordide. Il négligea de châtier beaucoup de grands criminels, et mit à mort beaucoup de grands innocents. Quant à ses compagnons, il en flattait certains sans mesure, pendant qu'il outrageait les autres à l'excès. Personne ne savait quoi dire ni comment agir avec lui... » Cela nous fait penser à quelqu’un de chez nous.
Caligula avait, au début de son règne, mené une politique de libéralisme. Son peuple croyait au « changement » qu’il incarnait. Puis, atteint d’une folie réelle ou feinte ou peut-être d’une sénilité trop précoce, il se prit pour un dieu disposant de ses sujets comme s’ils étaient des objets. N’ayant de compte à rendre à personne, il ridiculisait le Sénat et l'institution des consuls et faisait assassiner ou bannir la plupart de ses proches, à l’instar d’un président gâteux qui tripatouille la Constitution comme bon lui semble et qui, par d’incessants remaniements, élit qui il veut et « décapite » qui il veut, s’amusant à en ressusciter de temps en temps, ou comme un prince hautain et tout-puissant qui signe la mort politique ou financière de tout compatriote qui ne se met pas à genoux devant lui.
Karim a tout sauf l’estime des citoyens. Il gère presque la moitié du budget de l’Etat, son bras droit est ministre des Forces armées, un dévoué serviteur de son papa est le chef des autres forces de répression, et tout le territoire national est sous son contrôle. Mais comment conquérir les cœurs des Sénégalais qui ne voient qu’arrogance et mépris de la part du fils de celui en qui ils avaient placé leur confiance ?
Tout comme les colonisateurs, Karim est obligé de se servir des marabouts pour atteindre les populations qui le rejettent. Accroché au grand boubou de son papa, il mène une cour assidue à nos chefs religieux. Et comme il y en a à qui les biens de ce bas monde font oublier la parole divine, sa Majesté fait pleuvoir des chèques à chaque endroit. Eywaayandaw ! Asaaloo ! Asabombe ! Si un âne distribuait autant de chèques, puisqu’il est facile d’être généreux avec l’argent d’autrui, il aurait droit à des félicitations, des courbettes et des « conseils. Oui, si Wade avait donné tous ces pouvoirs à un âne, ils seraient légion, ceux qui se mettraient à claironner que cet âne est un Sénégalais comme tous les autres, qu’il est compétent et patati patata. Et si cet âne échappait « miraculeusement » à un incendie, on en verrait qui verseraient leurs larmes de crocodile, insultant ainsi les pauvres victimes du Joola.
Caligula avait un cheval favori nommé Incitatus. Il avait fait construire une écurie de marbre pour lui, avec une mangeoire en ivoire, et lui avait donné une troupe d’esclaves. Il avait même projeté de le nommer consul, mais fut assassiné la veille de la cérémonie officielle. On peut s’imaginer que si Caligula était de notre temps, Incitatus se baladerait en jet privé à travers le monde. Et savez-vous quoi ? « Caligula avait la taille haute, le teint livide, les yeux enfoncés, les tempes creuses, le front large et torve, les cheveux rares, le sommet de la tête chauve. »
Samedi passé (03 juillet), Karim, le poulain favori de « l’empereur » Wade, était chez les Laayeen où Seydina Issa Thiaw Laye, fils aîné du khalife, lui a conseillé de « se détourner des laudateurs ». Si Karim suit ce conseil, il se retrouva tout seul car il devra d’abord se méfier de son père qui ne cesse de lui jeter des fleurs, le présentant pratiquement comme le meilleur des Sénégalais. Pourtant, le même Wade avait reconnu que son fils est incapable de diriger le pays parce que, avait-il dit, « Il est très toubab ; il n'est pas bien imprégné de la culture sénégalaise, il ne parle pas bien wolof et il ne cerne pas tous les rouages de l'administration. » (Où étaient alors ceux qui, aujourd’hui, se réclament de la génération des opportunistes ? Ce qu’on trouve de concret chez la plupart de nos politiciens, c’est l’opportunisme et rien d’autre.)
Si Seydina Issa Thiaw Laye, ex-député d’Abdoulaye Wade, n’était pas marabout, on aurait osé penser qu’il fait lui-même partie des laudateurs, son mielleux discours étant à bien des égards éloigné de la réalité, pour ne pas dire « de la vérité ». Les journalistes ont sans doute omis quelques passages cruciaux. Nous ne pouvons imaginer le saint homme finir la liste de ses conseils sans rappeler au Prince qu’on ne peut ni tromper ni acheter Dieu, que le Sénégal n’est pas un royaume, que seul Dieu a un pouvoir éternel, qu’il ne suffit pas de s’agenouiller devant des marabouts et leur offrir l’argent des contribuables, sous l’œil complice de la chaîne de télévision familiale, pour être compté parmi les musulmans qu’Allah agrée.
Wade-père fut aimé, mais comme il n’est pas facile d’acheter tous les Sénégalais avec leur propre argent, Wade-fils (hostile aux critiques et au dialogue, selon Rufin) ne pourra s’imposer que par la terreur. Tenez ! Caligula disait aussi : « Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent ! »
Avoir un papa président de la République est une opportunité que les enfants d’Abdou Diouf (celui qui a su nous éviter le chaos en ayant eu la sagesse et l’honnêteté de reconnaître sa défaite en 2000) n’avaient pas voulu saisir pour lui succéder et faire main basse sur le peu que nous possédons. Eux, au moins, étaient pétris de certaines valeurs sénégalaises. « Amoon na lu ñu doon bañ, lu ñu doon jomm ak lu ñu doon rus. »

 

Bathie Ngoye THIAM.

P.S. : Que les opportunistes qui s’empresseraient de « répondre » pour entrer dans les grâces des Caligula et recevoir leur part du « tong-tong », nous remercie d’abord de leur en avoir donné l’occasion.


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