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BARGNY : QUI SONT LES « BANDITS », Me WADE ?

(Mars 2003)

Monsieur Le Président, vous déclarez que « la loi sera appliquée dans toute sa rigueur aux coupables d’actes de violences lors des manifestations qui ont opposé les populations de Bargny aux forces de l’ordre », ajoutant que de telles conduites sont « inacceptables. »
Nous sommes tous d’accord avec vous là-dessus. Personne ne trouve louable que des voitures de particuliers soient saccagées et la circulation bloquée. Mais ce que nous avons du mal à comprendre est que vous ne dites rien sur vos agents qui auraient fait pire que les manifestants. (Consultez les témoins.)
Quand les forces de l’ordre se transforment en « addu kalpe », on se demande qui sont les bandits. Des femmes, qui ne savaient même pas ce qui passait, ont été arrêtées et dépouillées de leurs bijoux. Des vieillards ont reçu des grenades dans leurs chambres, des personnes ont été « détenues au commissariat de Rufisque dans des conditions jugées « inhumaines et dégradantes. » Même des pêcheurs qui rentraient de mer ont été arrêtés par ces « coupables d’actes de violence » sur les populations de Bargny. (Et ne parlons pas de l’état de nos prisons où croupissent des citoyens qui, malgré leurs méfaits et crimes, ont aussi droit à la dignité et à un traitement décent.)
Cette violence démesurée et gratuite, qui a eu lieu à Bargny, devrait aussi, à mon avis, être condamnée par le « Père de la Nation ».
Contrôlez, s’il vous plait, l’ardeur de vos G.M.I. Ce n’est pas parce qu’on porte un uniforme qu’on peut tout se permettre. Avec tout le respect que je dois à l’autorité, j’ai parfois la douloureuse impression que le banditisme dont vous parlez a aussi des racines dans l’État et cela remonte de loin. N’importe quel citoyen vous dira avoir subi des injustices de la part de l’administration ou de ses agents.
Certes, il y a des « bavures » dans tous les pays du monde, mais les vraies démocraties ont une Police des polices qui ouvre de vraies enquêtes et traduit les coupables en justice. C’est n’est pas parce qu’un brigand porte l’uniforme qu’on doit fermer les yeux sur ses exactions. ( Je ne dis pas que tous nos agents sont ainsi. Loin de là et heureusement. Mais s’il y en a un sur mille, c’est déjà trop.) L’affaire Thiendella Ndiaye défraie la chronique depuis deux ans, parce qu’il y a eu un mort, mais il y a des bavures quotidiennes dont on ne parle pas ou qu’on ne voit pas.
Vous dîtes : "Avoir des droits ne doit pas conduire à l’anarchie. Le Sénégal est un pays de liberté, mais cela ne veut pas dire que tout le monde doit faire ce qu’il veut". Ça, Monsieur Le Président, je pense qu’il faut le dire aussi à vos forces de l’ordre. Bien leur apprendre les lois et les vertus de la République avant de leur donner des uniformes.
Appliquez la justice dans toute sa rigueur, Monsieur le Président de tous les Sénégalais, mais commencez par vos agents qui matraquent et pillent ceux-là qui, jadis, avaient cru en vous et vos promesses.
Imaginez qu’on jette des grenades lacrymogènes dans votre maison. Les femmes et les enfants criant et courant dans les sens alors que vous n’avez rien fait de mal.
Faire des victimes les coupables, voilà ce qu’on appelle de la manipulation. Et j’ose croire que cela n’assure le règne d’aucun souverain. Si ça continue dans cette lancée, il se peut bien que sous peu il n’y aura que feu et sang au Sénégal, ce que nous ne souhaitons pas. L’histoire nous apprend qu’un peuple qui se sent incompris et opprimé est tenté par la révolte.
Vous dîtes : "Ils (les jeunes manifestants de Bargny) l’ont fait exprès. S’ils avaient demandé une autorisation à la préfecture, ils auraient manifesté sans problèmes…C’est du banditisme. Les coupables et leurs complices répondront de leurs actes devant la justice. (…) Celui qui veut manifester demande une autorisation."
Pensez-vous vraiment qu’on a besoin de demander une autorisation pour déclencher un soulèvement populaire ?
Pour qu’une loi soit respectée, il me semble qu’il faut d’abord qu’elle soit comprise et acceptée. Un avocat comme vous est bien placé pour le savoir.
Un chef d’État, disent vos détracteurs, doit garder les pieds sur le sol qu’il gouverne. Voyagez dans les contrées de votre pays. La violence gagne du terrain et ce n’est pas bon signe. Ce qui est arrivé à Mobutu et se passe en Côte d’Ivoire, est peut-être tout près de votre porte. Et il y a des gens qui n’attendent que cela. Allez encore plus vers le peuple pour écouter ses doléances. Pour, ma part je reconnais que vous faites, dans ce sens, des efforts que tout le monde peut constater…
Votre ministre de l’Intérieur dit : « On ne doit jamais utiliser la force pour régler des problèmes de ce genre. » Mais c’est seulement quand la force a été utilisée dans ce problème qui dure depuis plus d’un mois, des années selon certains, que la chose a été prise au sérieux. N’est-ce pas paradoxal ?
Vous dîtes : "C’est moi qui ai inscrit dans la Constitution du Sénégal une disposition qui permet aux citoyens de revendiquer en organisant des marches, mais cela demande des préalables.. Le bon citoyen est celui qui est conscient de ses droits et devoirs et respecte la loi".
Vous nous avez certes « donné » le droit de manifester, mais il me semble que c’est un minimum pour quelqu’un qui se dit « démocrate » depuis des décennies.
Et s’il m’est permis d’exprimer ce que je pense, je serais tenté de dire que si ce qui s’est passé à Bargny avait eu lieu à l’époque de Senghor ou Diouf, vous seriez sans doute du côté des manifestants, comme le sont, aujourd’hui, certains de vos opposants.
Très respectueusement, et que Dieu vous aide à réaliser vos projets.

Bathie Ngoye Thiam.


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