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WADE S’HUMILIE ET HUMILIE LE SENEGAL A WASHINGTON

(Wal Fadjri, 19 septembre 2009)

Mercredi 16 septembre 2009, le Sénégal et les Etats-Unis signaient l’accord sur le Millenium Challenge Account (Mca) : 270 milliards de francs Cfa pour nous aider à sortir du sous-développement.  Le soir, ça devait être l’hilarité chez les Clinton et dans les familles de tous les Américains qui avaient assisté à la cérémonie. J’imagine Hilary se tordre de rire et s’affaler sur le canapé en lançant :
- Bill, as-tu vu ça ? Il est trop, ce vieillard ! Il parait qu’il a affrété deux avions et réservé deux grands hôtels de luxe. Quel gaspillage pour des gens qui viennent recevoir de l’aumône. C’est une insulte à la décence. T’as remarqué comment j’y ai mis le doigt en disant : « Toutes les personnes ici présentes qui ont fait ce très long voyage » ? Ha ha ha ha !
Et Bill de pouffer :
- Ce que j’ai trouvé drôle, c’est quand ils se sont tous levés au moment où Wade allait prendre la parole, comme des élèves dans une école primaire. Mais pourquoi n’a-t-il pas fait son discours dans la langue officielle de son pays ?
- Il doit montrer qu’il est le plus diplômé des présidents, le sage, le visionnaire, le dernier grand panafricaniste. Ha ha ha ! Tu sais ce qui m’a fait rire le plus ? C’est quand il a fini de lire laborieusement son texte rédigé par je ne sais qui… Ha ha ! Il a voulu continuer en anglais en s’adressant à son ministre, mais ne savait même pas comment dire « cadeau » dans notre langue. Ha ha ha ! C’est bien pathétique, tout ça… Je lui ai rappelé qu’il a deux prestigieux prédécesseurs. J’espère qu’il a compris tout ce que je lui ai dit.
Qu’est-ce que Wade est allé faire à Washington puisque c’est Abdoulaye Diop, ministre de l’Economie et des Finances, qui devait signer les accords ? Rien. Il s’est invité comme spectateur de marque, accompagné d’une forte délégation, aux frais du peuple sénégalais. D’autres pays n’ont envoyé que leurs ministres des Affaires étrangères, homologues de Mme Clinton, et leurs ministres de l’Economie, ce qui est largement suffisant, sauf pour Buur Saalum. Espérait-il rencontrer Obama ou voulait-il juste se voir sur les chaînes de télévision américaines ? Et cette horde d’applaudisseurs, pour quoi faire ? Avait-il peur d’être encore une fois hué par des compatriotes. Son narcissisme sans bornes et ses caprices de sénile aux facultés mentales de plus en plus douteuses portent préjudice au pays qu’il dirige. Ne pouvait-il pas, comme tout président qui se respecte et respecte son peuple, rester auprès des Sénégalais en détresse et laisser Gadio et Diop faire leur travail ?
Les Américains ne sont pas dupes. Ils savent à qui ils ont affaire. Ils savent qu’une bonne partie de cet argent, pour ne pas dire la totalité, sera remise à Karim Wade, le fils du chef de l’Etat, nommé ministre d’Etat chargé de la Coopération internationale, de l'Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures par son papa qui le qualifie de grand banquier, l’un des meilleurs experts financiers en Afrique, un travailleur, un homme compétent et capable, un présidentiable qui a de bonnes relations internationales. Mais quand le Prince gère les affaires de la cité, la transparence devient un vain mot. Et nous aurons encore droit à des « contes et mécomptes ».
Ils savent que Wade-père a dépensé 30 milliards de nos francs pour la réfection de son avion dont il ne se sert même pas, lui qui voyage tout le temps. Le Sénégal n’est pas une destination pour lui, mais une escale. Il y passe juste le temps de montrer son visage à la télé, refaire sa valise et prendre de l’argent à gaspiller ailleurs dans le monde.
Ils savent que la Division des investigations criminelles (Dic) convoque quiconque dénonce la mal gouvernance ou les gabegies et autres magouilles de Wade et de ses proches dont ceux que Mody Niang appelle « ces individus sortis de nulle part et qui sont devenus aujourd’hui riches comme Crésus. »
Ils savent qu’au moment où les populations sont dans les eaux de pluie, l’obscurité et le dénuement total, Wade construit sa statue à coups de milliards, sa priorité à lui, pour laisser son empreinte dans le pays pendant « 1200 ans ». Monsieur avait auparavant remplacé notre Hymne nationale par une de ses « compositions », et l’étoile de notre drapeau par un baobab.
Ils savent que Wade caresse l’idée de supprimer le second tour des prochaines élections présidentielles, cherchant ainsi à garder le pouvoir par tous les moyens. Ne pouvant plus compter sur son « surdoué » de fils pour lui succéder, il a décidé de se présenter lui-même pour un troisième mandat, quand il aura officiellement 86 ans. Qui va le croire ? Est-ce une de ses « ruses » dont il a le secret ? Signaler à gauche et tourner à droite. Nous ne lui avions pas « mis du sucre à la bouche » quand il décrivait son successeur, en faisant un portrait fort reluisant de son Karim adulé. Il avait dit en mars 2007 : « Ce sera quelqu'un comme moi, qui travaille beaucoup, intelligent, qui travaille, qui écoute les populations, qui aide les populations, qui a de bonnes relations internationales, qui est représentatif... En tout état de cause, ce n'est pas Idrissa Seck… Ce n'est pas Idrissa Seck. Non, c'est important. Ce n'est pas lui, j'ai rompu avec lui définitivement. » 
Qui peut encore douter des intentions de cet octogénaire qui ose déclarer aujourd’hui, sans sourciller, qu’il n’a pas dit qu’il veut mettre son fils au pouvoir ? Pour qui nous prend-il ? Maintenant que les Sénégalais, remontés contre l’homme de l’Anoci au cœur de scandales politico-financiers sans précédents, s’opposent à la monarchisation du pouvoir et que les attaques fusent de partout, ne cherche-t-il pas à détourner l’attention, nous jeter de la poudre aux yeux et attendre que la tempête passe pour nous imposer son fiston qu’il nous ressortira blanc comme neige ? Redoublons de vigilance !
Les Américains savent que cet homme avait aligné ses ministres devant lui pour leur ordonner de lui prêter serment. Peut-être qu’un jour il leur dira de ramper devant lui.
Ils savent qu’en 2004, le mégalomane sénégalais avait emmené à New York où il recevait le prix des Droits de l’Homme, des ministres, des journalistes, des hommes d’affaires, des militants, des musiciens, des sympathisants, aux frais des contribuables. Et à son retour à Dakar, un « xawaare » orchestré par notre Youssou Ndour national avait été organisé à son honneur à Sorano, sur l’initiative du Premier ministre. C’était la nuit des « Merci, papa président, nous sommes fiers de vous. »
            Ils savent que Wade avait dilapidé une fortune et paralysé l’économie sénégalaise pour fêter l’anniversaire de son accession au pouvoir. Ils savent qu’en novembre 2005, ce « roi », rentrant d’un de ses innombrables voyages inutiles, avait gaspillé 20 millions de francs pour avoir une file humaine, devant aller de l’aéroport au palais, pour l’accueillir et l’applaudir.
Ils savent qu’en Mai 2006, il avait fallu huit chefs d’États et des centaines de supporters transportés pour voir Wade recevoir le prix Houphouët Boigny pour la recherche de la paix. A Paris, plus de cent officiels percevaient chacun 150 000 francs Cfa par jour en attendant le méga meeting au Palais des Congrès, puis la bamboula au siège de l’Unesco. « Le Sénégal au bord de la Seine », disait-on.
Les Américains ont parlé d’agriculture et d’irrigation. Là, nous risquons encore d’acheter des tracteurs non fonctionnels et des motopompes sans moteur.
C’est parce qu’ils savent tout cela que nos bienfaiteurs ont insisté sur la démocratie, la transparence, la bonne gouvernance, le respect des droits humains, la lutte contre la corruption… Ils ont bien précisé que les populations doivent bénéficier de ces investissements et ont parlé entre autres de la région du Fleuve et de la Casamance. Mais je pense que s’ils veulent que les Sénégalais lambda voient la couleur de cet argent, ils feraient mieux de survoler nos villes et villages en hélicoptère et larguer les billets de banque en criant « Asaalooo !!! »

Bathie Ngoye Thiam.


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