Bathie Ngoye Thiam: Home > Contributions

CYBER-COMBAT : OÚ SONT LES LUTTEURS ?

(Wal Fadjri, 11 août 2009)

            Au Sénégal, Abdoulaye Wade fait ce qu’il veut, quand il veut, comme il le veut. Nul ne peut le nier. Tous les pouvoirs sont entre ses mains et il n’a besoin de l’avis de personne pour prendre une décision. Les opposants, timorés, s’imposent le respect des lois et de la constitution que le chef de l’Etat foule aux pieds sous leurs yeux. Qui se fait brebis, le loup le mange. Il ne s’agit pas d’organiser un soulèvement populaire ni une guerre civile ni un coup d’Etat, mais de défendre vigoureusement les intérêts de la Nation, en attendant les élections.
L’opposition est trop molle, si molle que Wade la narguait, il n’y a pas longtemps, clamant qu’elle n’existe même pas. Quand lui défiait Diouf, il était mille fois plus déterminé que tous ses antagonistes actuels. Il alla jusqu’à dire aux populations qu’il poussait à descendre dans la rue : « Les policiers sont des hommes comme vous. S’ils vous frappent, ripostez, prenez des chaînes de vélo… » Des voitures brûlaient et la violence était dans l’air. Tant que notre cher président de la République ne sentira pas une telle détermination chez ses adversaires, il ne reculera devant rien.
Les assises nationales, c’était une bonne initiative pour régler nos problèmes dans la paix et la bienséance. On voit le résultat. Les tenants du pouvoir crachent dessus. Il faut, par conséquent, adopter une autre stratégie. La société civile a fait son devoir, c’est aux hommes politiques d’achever le travail. Qu’est-ce qui empêche les opposants d’aller à la rencontre des citoyens ? Pourquoi attendre les campagnes électorales pour se faire entendre ? Des réunions chez Dansokho, des conférences et de petits meetings de temps en temps ne nous feront pas sortir du tunnel. Le travail est sur le terrain. « Jambaar, ca waar wa. » Wade et ses acolytes ne ratent pas une occasion de s’adresser aux populations. Sa Majesté a même mené campagne lors des locales alors qu’il n’en avait pas le droit, sous prétexte que c’était une tournée économique.
L’opposition ayant déserté son poste, des journalistes et une partie de la société civile se retrouvent propulsés en tête de peloton, juste parce qu’ils ont choisi de dire la vérité quoi qu’il advienne. Certains sont sur place, d’autres dispersés dans la diaspora. Les premiers ont un mérite énorme. Pour affronter le pape du Sopi au Sénégal, il faut être téméraire voire suicidaire. Mais comme le souverain passe son temps à voyager, gaspillant l’argent du peuple pour marcher sur des tapis rouges, recevoir des médailles qui flattent son égo et des applaudissements ça et là, il est de plus en plus combattu et hué hors du pays, là où il tente d’exposer une image reluisante de lui-même. En septembre 2007, Barthélémy Dias et des membres d’African New Vision avaient donné l’exemple en l’interrompant pendant qu’il tenait un discours à Washington DC, devant les élites noires africaines. Exhibant leurs pancartes, ils criaient : « Nous voulons une Assemblée nationale légitime», « Nous voulons un Sénat légitime », « Wade n’est pas un démocrate », « Justice corrompue »… Quelle humiliation ! D’autres suivront cet exemple… par patriotisme ou pour se faire remarquer.
Depuis quelques années, le combat s’est naturellement adapté à la mondialisation, avec une arme redoutable et imparable : l’Internet.
            En fin 2002-début 2003, un certain Modibo avait démarré une émission hebdomadaire sur Radio Tamtam Online. Il était seul devant son micro et nous intervenions en lui envoyant des e-mails. Très ouvert d’esprit et ne se prenant pas pour le centre du monde, il tenait compte des critiques et suggestions. L’émission devenue populaire, il fallait lui trouver un nom. « Boppu Koñ » fut retenu. A un moment donné, nous lui proposâmes d’ouvrir son micro aux auditeurs pour leur permettre de donner leurs avis. Il le fit. « Boppu koñ » eut une audience considérable et un succès fou. Modibo accordait la parole aussi bien aux Sénégalais lambda qu’aux célébrités dont des politiciens conscients de l’impact de l’Internet sur la société. Parmi les intervenants, certains ont par la suite créé leurs propres émissions. Modibo, le pionnier, continue son « Boppu koñ » sur Archipo.com. Signalons toutefois que son langage laisse parfois à désirer.
Les nouvelles formes de communication sont incontrôlables. L’administrateur d’un site peut refuser de publier les textes de telle ou telle personne ou de diffuser son émission, mais ne peut pas l’empêcher de le faire ailleurs.
Aussi, on a beau être riche et puissant, on ne peut pas pirater et saboter tous les sites et blogs dont la prolifération va crescendo. Même une photo qui met un roi hors de lui, nul ne peut arrêter sa circulation dans le monument de la renaissance mondiale qu’est l’Internet. Les forces de l’ordre peuvent interdire des attroupements et disperser les gens, mais ne peuvent pas entrer dans toutes les maisons et cybercafés pour éteindre ou saisir les ordinateurs. Pourquoi donc les hommes politiques, surtout ceux de l’opposition qui ne sont pas les privilégiés de la Rts, ne s’expriment-ils pas via Internet ? Chaque parti doit ouvrir un site muni d’une radio. Leurs dirigeants pourront ainsi, à tout moment, s’adresser aux populations qui ont grand besoin de les entendre.
Un peuple meurtri est une armée qui n’attend que son général. Mais les généraux étant dans le coma et la nature ayant horreur du vide, n’importe qui veut prendre les commandes, ce qui est extrêmement grave. On se retrouve avec des « ñoo xam ne mattu ñu mbuus te da ñuy yáq mbuus. »
Nous avons aujourd’hui plusieurs « orateurs » qui font leurs harangues via le Net, chacun avec ses fans inconditionnels qui se lancent des flèches et comparent leurs idoles. D’aucuns veulent à tout prix passer pour des messies ou des surhommes. Se sentant investis d’une mission, ils disent à peu près ceci : « Vous devez m’écoutez parce que je suis là pour éveiller vos consciences. Je suis votre voix. Je mène tout seul le combat. Soutenez-moi…» Est-ce ainsi qu’on résoudra les problèmes des Sénégalais ? Ça ne sert à rien de se prendre pour De Gaulle lançant son appel du 18 juin ou pour un gourou qui s’adresse à ses disciples. La modestie fait partie des traits caractéristiques d’un véridique.
            Il y en a qui parcourent le Net pour lire les articles, les contributions et commentaires, puis ils sélectionnent ce qui les intéresse et le présentent à leurs auditeurs en faisant croire qu’ils sont les premiers à en parler. Ramassant un peu de tout, ils ne cessent de se contredire sans s’en rendre compte. Souvent, ils jouent les visionnaires, avec des « Je vous l’avez dit » à n’en plus finir. Aucune déontologie, pas une poussière d’honnêteté intellectuelle ! Pourquoi se compliquer la vie ? N’est-il pas plus simple de citer ses sources ou de dire : « J’ai lu ceci, voici ce que j’en pense… » ?
Tirant toujours la couverture sur eux, ils se plaisent à nous tympaniser avec des « Un de mes amis m’a appelé avant-hier… », « J’étais avec telle personnalité dans un avion… », « Ce jour-là, on est venu m’annoncer que… » Et moi et je et moi et je et moi… Ouuuuuf ! Quand on prétend qu’on est témoin de tout, qu’on connait personnellement les protagonistes de toute affaire, qu’on a des informateurs dans tous les milieux, et j’en passe et des meilleurs, on ne fait que se ridiculiser. On finit par perdre toute crédibilité. Etre humble n’est pas une honte et ne tue pas. La vanité ne sied point aux grands hommes. Pour dire la vérité, on doit s’éloigner de la fabulation et de l’autoglorification.
On ne peut s’empêcher de sourire quand on entend un « orateur » lancer dans une langue que celui qu’il interpelle ne comprend pas : « Karim Wade, tu es en train de m’écouter. Tu sais bien de quoi je parle… » Ça nous rappelle ces « chasseurs de deumes » fanfarons qui criaient sur les places publiques : « Vous, les deumes, vous m’entendez ? Je vous attends ici, de pied ferme. Venez donc si vous en avez le courage ! Moi, je suis prêt. » Et la foule impressionnée s’exclamait : « Waaw ! Quel homme ! Moom rekk la dëmm yi ragal. »
Certains sont persuadés qu’à chaque fois qu’ils commencent leurs émissions, c’est comme l’appel à la prière du vendredi. Tout le monde se rue vers les ordinateurs. Tous les membres du gouvernement arrêtent leurs activités pour les écouter. Même les insectes retiennent leur souffle. Eh bien ! Ça va, les chevilles ? Dans leur quête de gloire fictive, ils n’hésitent pas à mentir, à calomnier et à provoquer juste pour attirer l’attention sur eux, quitte à se retrouver devant le juge ou en prison, ce qui est un trophée pour eux. Des martyrs d’un autre genre ! Ils ne combattent pas pour le pays comme ils le braillent haut et fort, mais pour qu’on les tienne pour des héros, donc pour eux-mêmes et, du coup, ils gâchent le travail des vrais patriotes. De tels soldats ne font que nuire à leur camp.
            Il y en a un qui, pataugeant dans son monologue lassant et souvent stérile, s’imagine que les Wade ne dorment plus tellement il hante leur sommeil. Ha ! Ha ! Oui, il n’est pas interdit de rêver, mais quand même... Si un homme, n’ayant derrière lui qu’une poignée d’applaudisseurs qui lui disent qu’il est un « guerrier », se sent pousser des ailes jusqu’à penser qu’avec son micro ou sa plume il va déstabiliser un régime, il a de fortes chances d’atterrir à l’hôpital psychiatrique de Fann. Ce qui, ces temps-ci, empêche Wade et les siens de dormir, c’est comment résister au front Benno Siggil Senegaal, comment négocier avec Idy pour que Karim occupe la première place, comment mettre des bâtons dans les roues de Macky Sall…, et non ce que raconte tel ou tel individu, fût-il Abdou Latif Coulibaly, Mody Niang, Mandiaye Gaye ou un artiste quelconque. Nos gouvernants semblent croire que le peuple est sourd, aveugle, muet, amnésique et plongé dans une léthargie profonde dont personne ne peut le tirer. Donc tout se règle entre eux, les politiciens qui se partagent le gâteau.
            En attendant l’entrée des lutteurs dans l’arène, nos « orateurs » peuvent continuer l’animation pour « chauffer la salle ». Espérons seulement qu’ils vont diviser leurs émissions en deux parties, la première pour le monologue et la deuxième pour ouvrir le micro aux auditeurs. Cela mettra fin aux dérapages et délires égocentriques. Le combat est celui de tous, chacun cultivant son « waar » pour apporter sa pierre à l’édifice. Nul ne peut tout savoir et tout faire tout seul. Comme dit l’adage, chacun son métier, les vaches seront bien gardées. 

            Bathie Ngoye THIAM.

 


< Retour au sommaire