Bathie Ngoye Thiam: Home > Contributions

CERTAINS MILITANTS, DE VRAIS MOUTONS ?

(Wal Fadjiri, 27 juillet 2009)

Quand j’étais petit, on nous disait que dans la nuit de tamxarit, on peut voler en toute impunité. La politique, chez nous, est une nuit de tamxarit. Vol, mensonge, manque de « diom »... Tout y est permis. Seul l’intérêt personnel et immédiat compte pour la plupart de nos politiciens. Sans vergogne, certains étaient verts hier, sont bleus aujourd’hui et demain ils seront oranges. Ils ne pensent qu’à s’enrichir sur le dos de ceux qu’ils disent servir.
Malheureusement, beaucoup de compatriotes trouvent cela normal. « Nguur, ku ne neexul, da nga caa bokkul », disent-ils. Les mots « République » et « démocratie » n’ont aucun sens pour eux. Ils ne militent pas pour une cause, une idéologie ou un programme, mais pour une personne qu’ils suivent comme des moutons, peu importe ce qu’elle fait et dit.
En mars 2000, les Sénégalais n’avaient pas voté contre les « socialistes » qui, pendant quarante ans leur en avaient fait voir de toutes les couleurs, mais contre une personne : Abdou Diouf. Regardez ce qui s’est passé depuis. A quelques exceptions près, tous les vautours de l’ancien régime sont ou ont été dans le gouvernement d’Abdoulaye Wade où les « alternoceurs » mettent les bouchées doubles pour dilapider les biens du pays. On se contente d’appeler cela transhumance. Ça fait partie de la politique, dit-on.
Le bas peuple ne s’est jamais senti impliqué dans la gestion de la cité et a toujours courbé l’échine. Avant, on obéissait aux rois et princes qui avaient droit de vie et de mort sur leurs sujets. Ils possédaient même des esclavages qu’ils pouvaient vendre ou offrir à qui ils voulaient. Les richesses du royaume étaient leurs. Par la suite, les colons, devenus les nouveaux maîtres du territoire, cassèrent le peu de communication qu’il y a avait entre le pouvoir et les indigènes. Les rois au moins étaient des nôtres, avaient des conseillers, des griots, des Bëk néeg…
Les colons, ignorant notre culture et ne parlant pas nos langues nationales, formèrent des « intermédiaires civilisés » pour les aider à gouverner. Après l’indépendance, ce fut la néo-colonisation. Le pouvoir était désormais aux mains d’une élite noire éduquée par les Blancs. Les masses populaires restaient écartées des affaires de l’Etat. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des discours de Senghor étaient en français. Les trois quarts des auditeurs n’y comprenaient rien, mais applaudissaient quand même. Les élections n’avaient pour eux aucune importance. Il suffisait de leur offrir quelques sacs de riz pour récolter leurs voix. Pour quelques billets de banque et quelques t-shirts, ils se laissaient et se laissent encore entasser comme du bétail dans des cars qui les emmènent applaudir tel ou tel politicien.
Saluons quand même l’apport considérable de Senghor qui, en mettant fin au monopole du parti unique, fit un pas de géant vers la démocratie. Il pouvait rester président jusqu’à la fin de ses jours, comme Bongo, Sékou Touré, Houphouët Boigny ... Un beau jour, il fit ses adieux et confia le pays à son dauphin Abdou Diouf. Les administrés ne se sentant toujours pas concerné, la pilule passa. Luttons pour que cela ne se refasse plus.
Le mérite de Diouf est d’avoir reconnu sa défaite en mars 2000. C’était la victoire du peuple qui comprit enfin que c’est lui et lui seul qui peut élire et destituer un « roi ». Oui, j’ai bien écrit roi. On ne voit pas trop la différence entre un monarque et un président de la République. Pour dire « biens publics », on dit encore en wolof « alalu buur » (propriétés du roi). Même la rue est nommée « mbedd’am buur ».  Les Sénégalais d’en bas ne voient pas en quoi cela leur appartient aussi. Quand on leur parle de détournements de deniers publics, ils se disent : « Je n’ai jamais eu un million de francs, comment peut-on me dire que ces milliards sont aussi miens ? » La misère des citoyens fait l’affaire des gouvernants qui, consciemment ou inconsciemment, les affament et leur jettent de temps en temps des miettes de ce qui leur est dû, pour avoir leur soutien, louanges et remerciements. Il faut conscientiser les populations, puisque le pouvoir n’a pas intérêt à le faire.
C’est écœurant d’entendre nos dirigeants actuels se comparer à ceux du régime socialiste, disant : « Eux aussi avaient fait ceci et cela… » Ne savent-ils pas que c’est justement parce qu’il y avait ces pratiques-là que le peuple s’est débarrassé d’eux ? Ils font de leurs militants de la marchandise qu’ils vendent pour obtenir un portefeuille de ministre ou autre. Les exemples ne manquent pas. Prenons le cas de Modou Diagne Fada, cet homme qui, expulsé du gouvernement, fit le tour des marabouts pour se plaindre. Exclu du Pds, il avait créé le mouvement « Waar-wi », une coalition avec d’autres partis et mouvements dont il était tête de file aux élections législatives du 3 juin 2007. Après, il avait livré ses militants à Wade pour se faire une place au soleil.
Idrissa Seck, lui, a remporté le trophée. Rien ne semble dégradant pour lui tant qu’il se reproche de ce pourquoi il serait né : devenir président du Sénégal. Qui peut oublier ses Cd incendiaires, « le spermatozoïde », les « lui et moi », ses attaques contre Wade qui l’avait jeté en prison ? A l’époque, c’était à la guerre comme à la guerre. Leurs partisans respectifs se disputaient, s’injuriaient et se bagarraient pendant qu’eux dormaient tranquillement. Après, ils font des « retrouvailles » et les militants allument le calumet de la paix. Ils se séparent encore et les militants déterrent la hache de guerre, et ainsi de suite. C’est comme s’ils s’amusaient à organiser des batailles de coqs. Nous aurons sans doute droit aux mêmes scènes entre les ouailles d’Idy et celles de Karim, les « frères » devenus ennemis parce que « li mbëtt bëgg, la bar bëgg. »
Si, demain, Macky Sall, humilié par Wade et sa clique, retourne au Pds (Pdsl), bon nombre des affiliés de l’Apr/Yaakaar le suivront en arguant, toute honte bue : « C’est la politique, han. » Mais espérons qu’il lui reste un minimum de dignité.
Chaque peuple, dit-on, n’a que les dirigeants qu’il mérite. Dieu merci, les Sénégalais commencent à se réveiller et certaines pratiques ne passeront plus. Si l’on sanctionne Wade comme on a sanctionné Diouf, les prochains élus sauront à quoi s’en tenir.

Bathie Ngoye Thiam

 


< Retour au sommaire