LES JOURNALISTES FRANÇAIS ROULÉS DANS LA FARINE PAR UN IMMIGRÉ
(Wal Fadjiri, 14 juillet 2009)
Omar Ba, un étudiant sénégalais en France a publié en 2006 deux livres aux titres bien provocateurs : « Pauvre Sénégal (Un peuple en otage) » et « La France, une république ? » N’ayant pas le succès escompté, notre compatriote se fabrique un passé de clandestin. Il rassemble tous les récits des clandestins et prétend les avoir vécus. En fin sociologue, il savait (Il le dit dans une interview) que « les Français sont pris dans un rouleau compresseur médiatico-politique qui les empêche de sérieusement réfléchir sur ce qu’on leur raconte comme charabia. » Il écrit alors un troisième livre pour raconter son « aventure ». L’éditeur à qui il confie le manuscrit lui répond qu’il y a trop d’incohérences. Il reprend le texte et le retravaille pendant un mois. Ça parait enfin plus ou moins correct. L’ouvrage est publié. En bon comédien, il faut le reconnaître, il piège les journalistes français qui croient à son « témoignage » sans se poser de questions. Les gars de l’émission « 7 à 8 » sur TF1, ont immédiatement mordu à l’hameçon, après Paris-Match, affirmant que le récit est authentique et l’agrémentant d’images touchantes de vrais clandestins morts ou souffrant en route vers l’Eldorado. Omar Ba devint l’immigré « clandestin » le plus médiatisé de l’Hexagone. Les chaines de télé, les radios, les journaux, lui accordent une attention toute particulière. Il est sur les plateaux avec des personnalités et d’éminents journalistes. Omar par-ci, Omar par-là. Le manque de vigilance de la presse en quête de sensationnel et la naïveté des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs lui ouvrent les portes d’un château de cartes pouvant s’écrouler au moindre souffle. Mais quel vent oserait démolir ce que la France toute entière a construit ? Il n’y a eu aucune tempête, même pas une brise. Juste le regard d’un certain Benoit Hopquin. Plus de château, plus de cartes. Tout s’est envolé en éclats.
Contrairement à la quasi-totalité de ses collègues journalistes, Benoit Hopquin s’est posé des questions et a fait des investigations qui l’ont poussé à se tourner vers les frères de cet immigré qui raconte des légendes dignes d’Ulysse.
Omar a commis la grosse erreur de ne pas prévoir que des Sénégalais comme lui, qui connaissent bien les réalités du pays, allaient aussi l’écouter et le lire.
L’émission « 7 à 8 » lui assurait la « gloire », mais aussi la décadence. Pendant que les Occidentaux s’apitoyaient sur sa « vie », bon nombre de Sénégalais se demandaient : « Mais qu’est-ce qu’il raconte, celui-là ? » Ce que les journalistes français considèrent comme de petits détails furent des montagnes aux yeux des compatriotes d’Omar Ba. La phrase qui fit tilt est quand il dit, parlant de son arrivée en territoire européen : « Pour la première fois de ma vie, j’ai eu le choix entre du coca et de l’eau. Une eau fraîche en plus. » Pour quelqu’un qui se dit dakarois et a étudié jusqu’à pouvoir écrire des livres, comment est-ce possible ? Très vite, il fut établi qu’Omar était étudiant à l’université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal en 2001-2003, alors qu’il prétend qu’à cette époque il souffrait en mer et dans le désert pour se rendre en Europe. Nous savions que toute son histoire était inventée. Certains pensaient qu’il fallait le dénoncer et d’autres arguaient que « les Blancs nous ont arnaqué, donc il n’y a aucun mal qu’un des nôtres les arnaque en retour. » Les choses en seraient restées là si Omar, voulant que coûte que coûte « plaire » aux Français, n’avait pas craché sur son pays, sur ses compatriotes et même sur nos morts. Il donne une image très négative de nos familles en déclarant que nos parents préfèrent que nous soyons au fond de l’océan plutôt que de nous voir revenir d’Europe sans fortune. Et parlant des Africains qui vivent ces tragédies, il déclare qu’entre eux, il n’y a que bestialité, barbarie et saloperie humaine. Voilà pourquoi certains, dont moi-même, avaient tenu à le démasquer.
Si les journalistes français ne sont pas informés, comment peuvent-ils informer les populations ? Omar leur dit qu’il est parti le 05 septembre 2000 et qu’il y avait à l’époque des tas de gens qui mouraient en mer pour entrer en Europe. Ils le croient ou font semblant de le croire. Les Sénégalais savent qu’entre 2000 et 2002, l’espoir régnait au pays. Après une quarantaine d’années de règne du parti socialiste, Abdoulaye Wade venait de prendre le pouvoir en promettant monts et merveilles au peuple, surtout aux jeunes. C’était « le Sénégal qui gagne ». Personne ne songeait à aller risquer sa vie dans l’Atlantique. Pour les journalistes français, c’est sans doute un détail sans importance.
Omar leur dit à la télé qu’il avait payé 2000 euros au passeur, soit plus de 1 300 000 francs, mais dans son livre, il dit que c’était 760 euros, environ 500 000 francs. La différence est énorme. Aucun journaliste français n’a souligné ce « petit détail ».
Omar leur raconte que quand il prenait sa pirogue de fortune, le passeur qui n’avait que deux bidons de gasoil leur avait quand même remis un GPS (Global Positioning System). Ils le croient, alors qu’à l’époque, eux-mêmes n’avaient pas de GPS puisque le produit venait juste d’être sur le marché. Encore un petit détail ?
Omar raconte que son embarcation a mis moins de cinq heures pour aller de Mbour à Saint-Louis. Le bateau Le Willis, bien équipé, mettait quinze heures pour aller de Dakar à Ziguinchor, distance équivalente à celle qui sépare Mbour de Saint-Louis. Ce n’est qu’un petit détail ?
Omar dit qu’ils étaient 50, avec quatre sacs de riz de cinquante kilogrammes chacun. En moins de trois jours, il n'y avait plus de riz. Cela signifie que chacun d’eux consommait en un repas plus d’un kilo de riz. Faites cuire un kilo de riz et essayez de le manger tout seul. Mais bon, ce n’est qu’un petit détail pour ces grands journalistes français.
Il raconte que ce même troisième jour, la pirogue commence à couler parce qu’il y a trop de monde à bord. Comprenons que pendant trois jours la pirogue n’avait pas senti qu’elle était surchargée. Si l’on tient compte du fait qu’il n’y avait plus de riz ni d’eau, elle devrait être plus légère. Oh ! Ça aussi, ce n’est qu’un petit détail.
Omar écrit qu’un février/mars 2001 : « Nous sommes loin du Soudan certes mais la zone n’en est pas moins dangereuse à cause du problème au Darfour. » Seulement, ce qu’on appelle aujourd’hui « la crise du Darfour » n’a commencé qu’en 2002, mais la tragédie n’a pris de l’ampleur qu’en février 2003. Pour les journalistes français, il n’y a apparemment rien à signaler.
Omar raconte qu’il a traversé le Tchad et le Niger, à pied, sous le soleil ardent du désert, en seulement trois semaines, avec un orteil cassé et une foulure à la cheville, sans boire une goutte d’eau et en ne mangeant que du sable. Faut-il être journaliste français pour le croire ?
Omar dit qu’en avril 2001, il était à Melilla, parmi les clandestins sur qui les soldats tiraient pendant qu’ils tentaient d’escalader les grillages et les fils barbelés. Les journalistes français semblent ne pas savoir que cela s’était passé en octobre 2005 et non en avril 2001.
Omar dit qu’il a vécu environ un an à Madrid. Qui lui a demandé à quelle adresse ?
Il écrit, parlant d’août 2002 : « L’Espagne est considérée, par les autres pays de l’Union européenne, comme la plus importante porte d’entrée de clandestins. Les fréquentes campagnes de régularisation de sans-papiers provoquent souvent la colère des autres pays européens. » Ce n’est qu’un petit détail ou alors, les journalistes français sont amnésiques. Ces campagnes de régularisation n’avaient pas lieu avant 2005-2006.
Dès qu’il arrive à Paris où il ne connaît personne, Omar a immédiatement un logement. Il écrit : « Dans le onzième arrondissement de Paris, je trouve un toit dans un foyer de jeunes dont l’administration se moque bien de savoir si je suis sans-papiers ou non. L’endroit accueille uniquement des étrangers. » Il n’a aucun papier, juste deux photos d’identité. Il n’a même pas besoin de verser une caution et il a une chambre qu’il occupe pendant un mois et demi, sans payer un centime. Comment les journalistes français peuvent-ils y croire ?
Le 1er novembre 2002, Paris était sous la neige, dit Omar. Combien de journalistes y ont cru sans même penser à consulter Météo France pour vérifier ? Ce jour-là, il faisait dix degrés.
Omar écrit plus loin : « En attendant je suis incarcéré à la zone internationale de Roissy, assisté par maître Patrice Clément, avocat commis d’office. » Combien de journalistes ont vérifié si cet avocat existe ou est juste inventé ?
Comment se fait-il que les journalistes français ne se demandent pas pourquoi aucun journal, aucune télé, n’a parlé des « aventures » d’Omar où des dizaines voire des centaines de personnes perdent leurs vies aux portes de l’Europe ? Il raconte qu’un cargo espagnol l’a trouvé dans une pirogue, entouré de cadavres en putréfaction. Etrangement, les médias espagnols n’étaient pas informés ou n’avaient pas voulu en parler.
Rendons hommage à Benoit Hopquin, le seul à avoir sauvé l’honneur en faisant correctement son devoir. Signalons toutefois que le journal LE MONDE, pour lequel il travaille, était aussi tombé dans le panneau avant de se reprendre. Mieux vaut tard que jamais.
Mais depuis qu’Omar est mis à nu, les réactions les plus farfelues voient le jour. D’aucuns disent : « Même s’il n’a pas vécu ce qu’il raconte, d’autres l’ont vécu, donc ça revient au même.» C’est trop simpliste. Si je disais que la deuxième guerre mondiale avait eu lieu en 2004 et que j’étais juif, dans un camp de concentration, racontant toutes les souffrances que j’y aurais vécues tout en criant haut et fort qu’entre ces gens qu’on faisait entrer dans les fours crématoires, il n’y avait que bestialité et saloperie humaine et qu’ensuite je m’autoproclame porte-parole des Juifs, ces mêmes personnes n’auraient pas tenu le même discours. Elles m’auraient dit que je ne suis pas juif, que la guerre n’a pas eu lieu en 2004 et que je dois respecter la mémoire des déportés. Il est inadmissible et impardonnable de laisser n’importe qui raconter n’importe quoi sur des sujets aussi tragiques.
Dans son quatrième ouvrage qui est sorti, il y a quelques mois, Omar adopte la même stratégie. Copier, coller. Il répète et s’approprie ce que d’autres ont dit bien avant lui, tout en faisant un clin au gouvernement français qui combat inexorablement mais sans succès l’immigration clandestine. Encore une fois, les journalistes roulent dans la farine. Ils titrent : « Omar Ba, l’Africain qui lutte contre l’immigration clandestine.» « Omar Ba, l'empêcheur d'émigrer en rond », « Omar Ba entend sérieusement lancer un appel pour que les jeunes africains qui n’ont qu’une envie, celle de rejoindre l’Europe, réfléchissent à deux fois avant de prendre une décision associée à de nombreux risques et à une déception garantie en fin de compte. », « Mon objectif est que s’amenuise la fuite vers les pays du Nord. » « Omar Ba défend ainsi l'idée d'une meilleure gestion des flux migratoires ». Espère-t-il que Sarko lui donne la nationalité française et le nomme ministre de l’immigration ?
Après avoir craché sur nous, le voilà qui crie partout qu’il aime l’Afrique. Les journalistes vont jusqu’à dire qu’il est la « voix des sans voix ». En tout cas, il a une drôle de manière de défendre ses frères et sœurs. Sachant que les Français exigent des immigrés le respect de leurs lois, il leur « apprend » que ces gens contournent facilement les lois parce qu’ils sont de plus en plus instruits. Et dans son livre, il écrit qu’il a acheté de faux passeports, qu’il a acheté de faux diplômes, qu’il a acheté une fausse attestation de bourse et que même les visas, on peut les acheter en Afrique. Voyons ! A qui rend-t-il service, lui qui avait un vrai passeport, de vrais diplômes et une vraie attestation de bourse ? Les étudiants qui voudront poursuivre leurs études en Europe en souffriront. Il est déjà assez difficile d’avoir un visa, et le « défenseur des immigrés » en rajoute avec des mensonges alors qu’il est, lui, bien installé à Paris. Après moi, le déluge.
Maintenant les journalistes français le présente comme un avant-gardiste. On lit : « Omar Ba, pour la première fois lève un tabou. Il ose dire aux Africains : « Ne venez pas ! Immigrer en Europe est une impasse », « L'Afrique a besoin de ceux qui veulent la quitter. » « Mon combat est pour que les Africains rêvent d’Afrique et cessent de considérer que rien n’est possible sur ce continent. » … Mais voyons ! Qu’y a-t-il d’original dans ses paroles ? Il ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes par d’autres depuis longtemps. Même Nicolas Sarkozy a dit qu’il n’est pas normal qu’il y ait plus de médecins africains en Europe qu’en Afrique.
Omar prétend qu’il veut apprendre ceci et cela aux Africains, mais il ne parle qu’aux « Toubab » (Blancs) tout en leur faisant croire qu’il s’adresse à ses frères qu’il doit éduquer pour accomplir sa mission. N’est-ce pas étrange ? Pourquoi ne va-t-il pas sur les plateaux de télé au Sénégal raconter son « odyssée » et donner ses leçons ? Il dit aux journalistes qu’il est plus entendu en étant en France qu'en Afrique. Et ces Toubabs le croient. Ne savent-ils pas qu’au moins 70% des clandestins ne lisent pas les journaux français, ne regardent pas les télés françaises et ne vont pas sur Internet pour suivre les leçons d’Omar Ba ?
Pour justifier pourquoi les médias de son pays ne parlent jamais de lui et pourquoi ses compatriotes le dénoncent, il explique que c’est parce qu’il dit des vérités qu’ils ne veulent pas entendre, des vérités qui dérangent. Ha ha ha ha ! Quelles sont ces vérités ? Que l’Europe n’est pas l’Eldorado ? Qu’il ne faut pas risquer sa vie en mer ? Qu’il faut rentrer en Afrique ? Eh bien, voyons !
Youssou Ndour, l’artiste le plus écouté au Sénégal, considéré comme une des cent personnes les plus influentes au monde, parle de l’immigration depuis le début des années 80. Quand le phénomène des « pirogues de la mort » a pris de l’ampleur, il faisait passer une annonce à la radio pour dissuader les jeunes de partir. Omar Pène, DJ Awadi et tant d’autres chanteurs ont dit et continuent de dire ces « vérités ». Des écrivains comme Abasse Ndione et Fatou Diome, entre autres, ont abordé le thème et l’on parle d’eux au pays sans les traiter de menteurs. Le fond du problème est qu’Omar veut dire aux Français ce qu’ils veulent entendre. Il prône le retour en Afrique, mais fait tout pour rester en Europe, quitte à mentir et cracher sur les siens. Pourtant, il a écrit dans son livre : « Je sais jusqu’où peut mener le mensonge. J’en ai payé les frais. Je connais les limites de la triche. » (« Soif d’Europe », page 123.)
Eh oui, Omar, comme dit le proverbe, « le mensonge peut fleurir, mais ne donne jamais de fruit ».
Malheureusement, beaucoup de journalistes ne faisant pas correctement leur travail, il risque d’y avoir d’autres Omar Ba.
Bathie Ngoye Thiam