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LE PEUPLE LUI FERME LA PORTE AU NEZ, PAPA-PRESI LUI OUVRE LA FENETRE

(Wal Fadjri, 04 mai 2009)

Le fameux « Fii, ñoo ko moom » de Karim Wade tend à muer en « Fii, maa ko moom », voire « Reéw mi, maa ko moom ».
Les Sénégalais qui pensaient s’être débarrassé du fils de Buur Saalum, roi de la République, en lui infligeant une humiliante raclée le 22 mars dernier, n’ont plus qu’à ranger leurs cure-dents. « Tey la Waalo gëna aay ». Un prince si bien entouré ne se laisse pas enterrer vivant.

C'est avec "stupeur et tremblements" que nous avons appris la nomination de Karim Wade comme ministre d'État. Et quel ministère ! La part du lion, vous dis-je. Du jamais vu au Sénégal. Il eût quand même été plus décent pour lui de se terrer quelques mois en France ou ailleurs, histoire de cuver son chagrin consécutif à sa cinglante défaite aux élections locales, avant de revenir s’immiscer dans les affaires de cette Nation qu’il doit d’abord apprendre à connaître. Mais non, les jours du père au palais étant comptés, il n’y a pas de temps à perdre.
Dire que Me Wade ne respecte pas les électeurs, mon Dieu, quel pléonasme ! Après avoir décrypté leur message, il semble leur répondre : « Ah bon ? Vous ne voulez pas de mon fiston ? Je vais donc vous montrer que j’ai plus d’un tour dans ma boîte à malice. »

L’idéal pour Karim serait de prendre le pouvoir par les urnes, puisqu’il est « un Sénégalais comme les autres ». Il a tout essayé, avec des moyens hors de portée des candidats ordinaires. Il a courtisé les marabouts, distribué des centaines de millions de nos francs, des sacs de riz, des moustiquaires, offert des billets pour la Mecque, investi l’Internet, s’est proclamé de la banlieue, s’est déguisé en rappeur, s’est efforcé de lancer des slogans en wolof… Pour les élections locales de mars 2009, il a usé de moyens colossaux dépassant de loin ceux de son père lors des présidentielles de 2000. C’est par les airs que Monsieur s’est rendu au Fouta, avec quatre appareils, s’il vous plait, alors que son papa faisait réparer ses pneus crevés dans des villages paumés en 2000. Et il se permet de prétendre sans sourciller qu’il était fortuné avant de rejoindre son père au pouvoir. Vous y croyez, vous ? Lui qui veut tant servir « son » pays, pourquoi n’avait-il pas financièrement aidé le Pds quand d’aucuns auraient vendu leurs maisons pour soutenir le Pape du Sopi en panne de pécule ?

Les Sénégalais ont vomi Karim Wade comme une arête en travers de la gorge, lui ont tourné le dos sans ambiguïté et avec un mépris profond, à la hauteur de son arrogance d’homme qui « gagne toujours ». Dès lors, il ne reste plus qu’à recourir à la méthode forte. Les urnes refusant la monarchie, les lois de la République sont façonnées pour l’instaurer. Il a suffi d’un énième remaniement ministériel pour nous faire ravaler notre vomi, et nous n’y pouvons rien. Hélas, trois fois hélas ! C’est ainsi que la loi Ezzan et la loi Sada Ndiaye (comprenez Lois Abdoulaye Wade) sont passées comme des lettres à la poste. Et l’on doit par ailleurs s’indigner de ces innombrables et incessants remaniements qui ne nous font avancer en rien. Depuis 2000, qui peut dire combien de ministres ont été élus et virés ?
L’originalité cette fois réside dans l’intronisation prématurée et forcée du Prince héritier qui aura à sa disposition tous les biens de l’Etat, c’est-à-dire des contribuables, pour accomplir ou bâcler sa mission, sans avoir des comptes à rendre, comme ce fut le cas avec l’Anoci. Pendant les trois années à venir, toute réalisation au Sénégal sera « l’œuvre » de Monsieur le fils de son papa. Et l’on entendra les laudateurs commencer leurs discours par des « Au nom du Président et au nom du tout puissant ministre qu’est son fils… » Que c’est pathétique ! Karim a finalement gagné… grâce au « koun fa yakoun » de son papa. Quel héros ! Applaudissons, waay ! Donnez-lui le ministère des Chiens Errants, ce sera un des ministères aux budgets les plus faramineux du pays et nous aurons les molosses les mieux nourris et les mieux soignés de toute l’Afrique, histoire de dire « Voyez comme il a bien travaillé », pendant que nos enfants mourront aux portes des hôpitaux, faute de soins. Puisque Karim est l’homme de la situation, le messie par ordonnance, qu’on le nomme donc ministre de la Vie Chère qui nous empêche de dormir.
Avant, c’était le parti au pouvoir qui lui « appartenait » – on ne peut percer au Pds sans s’incliner devant la Gc –, maintenant, c’est le pays. Il fera tout ce qu’il voudra et aucun membre du gouvernement n’osera piper mot, pendant que l’opposition et la société civile brailleront dans le désert. Déjà, Souleymane Ndéné Ndiaye, le sixième Premier ministre de Me Wade en neuf ans, déclare, sans doute pour montrer qu'il n'est pas qu'un valet, qu'il va "tenir un langage de vérité à tous les membres de son équipe y compris le fils du chef de l'État." C’est comme un patron qui dit de son employé : « Oui, je l’ai embauché, mais il ne me fait pas peur. » "Ndeysaan!" A-t-il choisi les membres de cette équipe ? Qu’on ne pousse pas l’affront jusqu’à vouloir nous faire croire que c’est le chef du gouvernement qui a nommé ces nouveaux ministres qu’il a reçus en audience. Ces consultations ne sont qu’une mascarade inutile et de mauvais goût. C’est Wade-père qui décide tout.

Quand il fut question de savoir comment Wade-fils a dépensé les milliards de nos francs qui lui étaient confiés par papa, le Président de l’Assemblée Nationale eut à le payer cher. Ce n’est pas étonnant, me direz-vous, dans un pays où le président aligne les ministres devant lui pour qu’ils lui prêtent serment. Karim et ses proches sont intouchables dans le sens le plus élevé du mot. Demandez à Mme Ntap Ndiaye qui a commis l’imprudence de rouspéter contre Abdoulaye Baldé, Secrétaire exécutif de l’Anoci et bras droit du Prince héritier. Elle y a laissé des plumes : son poste de ministre et… son Innocence. On ne se frotte pas impunément aux maîtres prédestinés du pays, sauf si l’on accepte de se faire récupérer pour entrer docilement dans les rangs, à l’instar de Souleymane Ndéné Ndiaye et Mamadou Seck, entre autres. Le nouveau chef-marionnette du gouvernement, qui avait osé « défendre » Macky Sall, magnifiant ainsi son intégrité et sa détermination à dire ce qu’il pense, avait aussi, en juin 2006, quand il était sous le feu des accusations, déclaré que Karim est son frère, Baldé son ami. Il avait apparemment bien appris sa leçon et le voila aujourd’hui au tableau d’honneur. Belle récompense ! Mais pour combien de temps ? Encore un Pm de transition. Ciel, quelle république bananière !
C’est seulement maintenant que Karim doit quitter la présidence l’Anoci pour monter en grade, que Baldé annonce qu’ils vont enfin faire l’audit de cette ténébreuse organisation embaumée de milliards. J’espère qu’il se souvient des 73 milliards restants qui devraient être injectés dans de nouveaux projets. On n’a pas oublié ces mots sortis de sa bouche : « Comme je vous l’ai dit, sur les 143 milliards, c’est un peu plus de 70 milliards qui sont utilisés. Les 73 milliards concernent des projets nouveaux qui vont démarrer dans les mois à venir. » Le peuple attend toujours. 
Nous le savons tous, ce qui préoccupe Me Wade, ce n’est pas le pitoyable quotidien des populations, mais comment remettre le pouvoir à son fils indésirable. Et les institutions sont là pour lui permettre d’atteindre cet objectif. Camarades, rendons les armes, baissons les bras et courbons l’échine pour que le Prince crache sur nos crânes dégarnis les restes de ses repas copieux.
Karim Meissa Wade, ministre d'Etat chargé de la coopération internationale, de l'aménagement du territoire, des transports aériens et des infrastructures. Rien que ça ? Non, ce n’est pas assez. « Góór gi, yokkal sa loxo, waay. » J’exige qu’on y rajoute ministre de l’Intérieur, ministre des Forces Armées et Vice-président du Royaume parce que « fii, moo ko moom ».

Bathie Ngoye Thiam.

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