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SOIF D’EUROPE : L’IMPOSTURE D’UN IMMIGRÉ

(Wal Fadjri, 16 juillet 2008)

Nombreux sont ceux qui, comme moi, ont été affligés en voyant sur TF1, dans le magazine « 7 à 8 » du 25 mai 2008, un immigré raconter son « odyssée infernal » pour arriver en Europe, son « voyage au bout l’enfer ». Mon Dieu ! Quelle aventure ! Mais, à la fin de l’émission, il déclare que s’il a une haine, c’est envers son pays qui n’a pas su lui donner les raisons de rester chez lui. Ce pays est … le Sénégal.
Alors là, je n’ai pu m’empêcher de regarder encore l’émission sur le Net et de lire quelques unes de ses interviews, car beaucoup de journaux français ont consacré des pages entières à l’histoire de ce garçon qui hait son pays. Il s’appelle Omar Ba et était étudiant à l’université Gaston Berger de Saint-Louis.
L’immigration est un sujet d’actualité. Il y a plein de discours là-dessus, de débats, de livres, de films. Depuis quelques années, les clandestins ont commencé à parler, racontant leur vécu et leur traversée du désert. L’un des plus médiatisés est Kinsley, un jeune Camerounais qui avait quitté son pays en 2004 pour rejoindre la France en passant par le Maroc. Son périple fut un cauchemar.
« Au Maroc, ils sont 18 à voyager à l'arrière d'un camion avec moins de deux litres d'eau par jour à se partager, sous la chaleur du désert. »
« Deux personnes perdront la vie lors du voyage, suite à un premier naufrage. Mais ne pouvant pas faire marche arrière, Kingsley ne se décourage pas et décide de retenter sa chance, et réussi à arriver sur les côtes espagnoles. »
Son histoire, émouvante, est plausible, vraie, et il y a des témoins, comme le montre un reportage d’« Envoyé Spécial », sur France 2 :
http://www.bonaberi.com/ar,cameroun_l_histoire_de_kingsley_immigre_clandestin,4132.html
Le réalisateur Cédric Klapish s’en est inspiré pour faire un film « Paris ». Kinsley y joue son propre rôle. Après les dures épreuves, enfin le succès.
Omar Ba, notre cher compatriote,  s’est sans doute dit : « Voilà un bon créneau… » Il raconte alors « son » aventure tirée par les cheveux, tellement il en rajoute et s’y perd.
 Des Africains ont marché dans le désert pour se rendre en Europe, ont pris des pirogues, se sont cachés dans des bateaux, etc. Nous avons souvent entendu leurs terribles péripéties. Omar, lui, les aurait vécues toutes ou presque.
Il dit qu’ils étaient 50 dans une pirogue pour se rendre clandestinement en Europe. Tous les autres seraient morts, donc il n’y a personne pour le contredire. Mais tout le monde n’est pas dupe. Dans un discours ponctué de « c’était affreux », « c’était atroce », « c’était l’horreur », il tente de toucher les âmes sensibles et crédules.
Il quitte le Sénégal, dit-il, le 5 septembre 2000. Des navires heurtent des pirogues, des passagers se noient, leur pirogue prend l’eau, il est arrête au Tchad et jeté en prison, on le largue avec d’autres prisonniers en plein désert sans eau ni nourriture, l’un d’eux, épuisé, s’affale et le sable, poussé par le vent, l’ensevelit aussitôt, des soldats tirent sur eux, il est arrêté et tabassé par la gendarmerie royale marocaine, il se retrouve en Lybie où il prend une pirogue dans la quelle se trouve, entre autres passagers, une jeune Somalienne qui va mourir, laissant son bébé, son corps est jeté à la mer, la pirogue chavire à cause d’une tempête,  beaucoup meurent noyés, il est repêché par des policiers italiens, etc. Il a survécu à tout cela. Superman n’aurait pas fait mieux. Le revoilà au Maroc. Septembre 2001. Un an déjà.
L’aventure, la « vraie » commence. Ils sont 50 dans une pirogue de 30 places.
« Survivre, dit-il au début de l’émission, pour moi, c’était partir. »
Seulement, en 2000, quand il « partait », l’alternance politique venait d’avoir lieu au Sénégal. L’espoir se lisait partout. Les jeunes étaient les plus enthousiastes. Personne ne pensait à aller risquer sa vie dans l’Atlantique. Omar dit qu’il avait 20 ans (parfois c’est 21) et était parti pour soulager sa famille. Il dit qu’il ne mangeait pas tous les jours, pourtant il était étudiant. Or, il est bien connu que dans les familles très pauvres, on retire les enfants de l’école pour qu’ils aillent travailler. Et il me semble aussi que ces pirogues dont il parle n’ont commencé à transporter des clandestins qu’en 2003. Les aventuriers d’avant cette date voyageaient autrement. Mais bon...
Dans l’émission « 7 à 8 » de TF1 ( http://www.dailymotion.com/video/x5kab6_omar-ba-sur-tf1_news ), il dit qu’il avait payé deux millions au passeur, et dans le livre qu’il a écrit pour raconter son histoire et qui a comme titre « Soif d’Europe : Témoignage d’un clandestin », on lit : « A présent celui qui entend son nom (lu par le passeur, la nuit, au bord de la mer) verse les cinq cent mille francs CFA du billet, environ sept cent soixante euros. » Il devait relire son livre avant d’aller à la télé. Et le plus drôle est que le passeur leur demande de montrer leurs passeports. Il ne manquait plus que ça.
Ils avaient quatre sacs de riz. Il écrit : « On est obligé de se serrer la ceinture pour ne pas manquer de nourriture. Au lieu de deux repas quotidiens nous n’en prenons qu’un. » Le troisième jour, il n’y avait plus de riz.
Est-ce que 50 personnes, ne mangeant qu’une fois par jour, peuvent finir quatre sacs de riz en moins de trois jours ? Ils devaient être bien petits, ces sacs.
(3ème jour toujours) La pirogue, raconte-il, commence à couler parce qu’il y avait trop de personnes à bord. Cela veut-t-il dire que pendant trois jours la pirogue n’avait pas senti qu’elle était surchargée ?
Un Gambien nommé Mourad (prénom pas très commun en Gambie) décide alors d’alléger la pirogue. Il prend des gens et les jette à la mer. Voyons ! Même des enfants de cinq ans auraient du mal à y croire. Les aventuriers de l’époque étaient des « guerriers », des durs à cuire. Et même s’ils étaient des poltrons, ils n’allaient pas se laisser faire. La logique dicte que les autres (ils étaient 50 dans la pirogue) se jettent sur Mourad. Même si Mourad était aussi herculéen que nos lutteurs, seul avec 49 femmes, ces dernières se seraient ruées sur lui pour le livrer aux requins au lieu de le regarder les jeter une par une par-dessus bord. Dans le récit d’Omar, Mourad en a jeté sept qui hurlaient, se débattaient, gémissaient. « C’était atroce, dit-il, on les entendait respirer sous l’eau. » Pendant ce temps, les autres, attendant tranquillement leur tour, se disaient : « Je ne dois pas dormir sinon il va me surprendre et me jeter. » Qui peut croire cela ? Omar continue : « Y en a qui se sont suicidés parce qu’il y avait plus à boire, y avait plus à manger. » Depuis que les pirogues partent vers l’Europe, c’est la première fois que j’entends parler de gens qui sont donné la mort parce qu’ils avaient faim et soif. Ces gens sont coriaces et ont toujours l’espoir de s’en sortir, jusqu’à leur dernier souffle. Regardez à la télé les pirogues qui arrivent en Espagne. Il y a souvent des morts et des gens déshydratés ou dans un état lamentable, mais on ne parle pas de suicidés.
Après, il nous dit qu’ils n’étaient plus qu’une dizaine parce que la pirogue qui tanguait en avait jeté quelques uns. Ici, un petit calcul s’impose. Ils étaient 50. Mourad en jette 7. Il reste donc 43. Maintenant, il n’en reste plus que 10. Et 43-10 = 33. Veut-il nous faire croire que 33 se sont suicidés ou sont tombés accidentellement dans l’océan ? Ça fait quand même beaucoup et ce n’est pas du tout facile à avaler. L’instinct de survie est plus tenace que ça. Aussi, pense-t-on à se compter quand on est dans une telle situation pour savoir si on est neuf ou dix ?
Il pousse le bouchon plus loin en disant que l’odeur des cadavres dans la pirogue les importunait. Mais voyons ! Pourquoi ces 10 survivants sont-ils restés avec des cadavres en putréfaction dans la pirogue pendant une semaine ? Omar dit que l’odeur était insupportable. Dans ce cas, mon cher, on prie pour eux et on les balance dans la mer. Ou bien ?
Mourad se suicide, selon Omar, en buvant du gasoil. Tiens ! Comment ce monstre, comme il l’appelle, qui tue pour sauver sa peau, peut-il avoir des problèmes avec sa conscience au point de se suicider ? Le comble, Omar dit que dans ces conditions-là, on cesse de penser, on devient animal. Comment donc imaginer que Mourad, un monstre dès le départ, se mette, lui, à penser ?
Brusquement, Omar s’endort ou s’évanouit après avoir utilisé sa dernière énergie pour lancer un cri de détresse en voyant un navire se diriger vers leur pirogue. Ça me rappelle le film « Titanic » et le radeau de la Méduse, mais ici, une partie du film est « volé ». On ne saura pas comment sont morts les neuf autres. Il se réveille, récupéré par un cargo espagnol qui l'a « débarqué à Fuerteventura, aux Canaries, au milieu des gens qui bronzaient sur la plage. » Oh ! Que c’est émouvant ! J’en pleure presque… de honte, oui. Les journalistes devraient faire des recherches pour retrouver ce cargo. Omar doit quand même se souvenir de la date.
Il dit, parlant de son arrivée en Europe : « Pour la première fois de ma vie, j’ai eu le choix entre le Coca et l’eau, une eau fraîche en plus. » Alors là, c’est vraiment trop. S’il avait deux millions à payer au passeur, il avait donc de quoi s’acheter une bouteille de coca et de l’eau fraîche dans n’importe quelle ville du Sénégal.
Il va encore plus loin, déclarant que nos familles préfèrent que leurs fils soient au fond de l’océan plutôt que de les voir revenir d’Europe les mains vides. Ah Bon ? J’en apprends des choses.
Il raconte : « Aux Canaries, les autorités m'ont mis dans un avion pour Barcelone. Et j'ai rejoint Paris dans un camion de fruits de mer. J'ai failli mourir gelé dans la chambre froide. » Ndeysaan ! Passez-moi un mouchoir, waay, pour que j’essuie mes larmes. Rester vivant dans la chambre froide, de Barcelone à Paris, même un esquimau aurait du mal à le faire. Ce garçon est vraiment très fort. Il poursuit : « À Paris, je me suis fait expulser. Retour au Sénégal... Finalement, j'ai eu une bourse pour aller étudier en France. »
Ah bon ? Pour avoir une bourse, je croyais qu’il faut soit avoir le bras long, c’est-à-dire connaître des gens très influents, ce qui signifie riches, ou être un excellent étudiant. Quelqu’un qui ne mange pas tous les jours n’a pas dans son entourage des riches qui veulent l’aider. Et un brillant étudiant, sachant qu’il a un bel avenir devant lui, ne laisse pas tomber ses études pour aller risquer sa vie dans la mer. Et puis, comment peut-il abandonner ses études pendant plus de trois ans à essayer de se rendre en France, retourner au Sénégal et obtenir une bourse ?
Supposons que son histoire est vraie. Dans ce cas, comment ose-t-il, maintenant qu’il est bien installé à Paris, dire qu’il hait son pays (le Sénégal) alors qu’après toutes ses terribles aventures infructueuses, c’est ce pays qui lui a donné une bourse d’étudiant, donc un billet d’avion pour voyager confortablement et un séjour en toute légalité en France ? Si ce n’est pas de l’ingratitude, dites-moi ce que c’est.
Il y a dans ses paroles et écrits un manque criant de crédibilité. La partie la plus hilarante de l’interview est quand il fait semblant d’être sur le point de pleurer et dit « excusez-moi » Ha ! Ha ! Pourquoi ne dit-il pas que c’est un roman qu’il imaginé en s’inspirant des récits des aventuriers au lieu de vouloir nous faire gober ces sornettes qui n’attendrissent que les Tubaab (Occidentaux) à qui il peut raconter qu’il dormait dans les arbres, avec tous les membres de sa famille, pendant que des lions affamés rôdaient autour ? En tout cas, il ne manque pas d’imagination. J’aime bien le passage où il écrit que sa mère lui avait donné un grigri qu’il avait attaché autour de sa taille avec un fil en peau de léopard. Ça fait très exotique en effet. Signalons qu’il avait auparavant publié deux livres sans succès. Cette fois-ci, il a mis le paquet. Bravo ! La littérature sénégalaise a de beaux jours devant elle.
Mais on peut gagner de l’argent sans mentir et sans cracher sur son pays d’origine.


Bathie Ngoye Thiam
Un Sénégalais choqué par cette histoire à dormir debout.

 


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