Bathie Ngoye Thiam: Home > Contributions

L’INDEPENDANTISTE

(02 décembre 2002)

Attention ! Je ne suis pas n’importe qui. Je suis Mbodj Abdoulaye, Laye pour les intimes, futur Président de la République, fils de Mbodj Malik, petit-fils de Mbodj Yirimari que chantait Pape Seck. Attention ! Depuis que le vieux Doukouré m’a refusé la main de sa fille, Diéo, j’ai de sérieux projets en tête. Attention ! Je suis indépendantiste.
Les indépendances feront revenir la paix, la liberté et l’unité en Afrique. J’ai parlé. Attention ! Je ne suis pas un homme de « je le savais », je suis un homme de « je l’avais dit ». Attention !
Savez-vous pourquoi il y a eu des génocides au Ruanda ? C’était par manque d’indépendance, je vous le dis. Je n’ai pas été jusqu’en chine pour acquérir le savoir, je suis né avec. Attention, hein ! Je vous dis que je ne suis pas n’importe qui. Il fallait que le Ruanda soit scindé en deux pays indépendants. Les Hutus d’un côté et les Tutsis de l’autre. Et il fallait qu’il y ait dans chaque camp, une minorité de l’autre ethnie pour qu’on puisse en zigouiller de temps à autre. La nature africaine est ainsi faite. Attention ! Nous avons besoin d’être divisés pour nous unir. Tenez, je deviens philosophe. N’est-ce pas Youssou Ndour qui chantait : « Homme noir, qu’est-ce que tu aimes le pouvoir ! » ? Vous voyez donc que j’ai raison. C’est notre nature, nous n’y pouvons rien. C’est pourquoi je veux créer ma république indépendante. Ainsi, quand le vieux Doukouré me dira qu’il ne veut pas me donner la main de sa fille parce que je suis chômeur, je lui répondrai : « J’étais chômeur, mais je suis devenu Président de la République. Attention ! Laye Mbodj, Président à vie de la République Démocratique de Mbodjiène !» Il verra ma photo dans LE SOLEIL, serrant la main de mon collègue Laye Wade. Et notre Idi national demandera audience pour me voir. Je ne suis vraiment pas n’importe qui.
Vous savez, si tout va mal en Afrique, c’est à cause de la colonisation. Il faut toujours un coupable. Les colons nous ont unis au lieu de nous diviser. Ils méconnaissaient notre nature. Tout ce qu’ils ont fait de bien au Sénégal, pour ne prendre que cet exemple, c’est d’avoir créé la Gambie. Une république indépendante au cœur d’une autre qui doit éclater.
Les seuls qui semblent me comprendre sont les indépendantistes de la Casamance. Attention ! De nos jours, pour qu’une république africaine soit reconnue, elle doit se proclamer démocratique avec, dans la mesure du possible, un président à vie. A mon avis, Me Wade doit se rendre en Casamance et dire : « Je vous ai compris ! » Alors je le nommerai « Général Laye de Gaule ». Mais il est en train de faire fausse route en voulant réunifier la Côte d’Ivoire, le Libéria et, je le soupçonne aussi, le Sénégal. Nous voulons plus de divisions car telle est notre nature. Combien de fois dois-je le répéter ? Attention, hein ! Je suis Laye Mbodj, fils de Malik Mbodj, petit-fils de Yirimari Mbodj.
Nous devons retourner au Sénégal pré-colonial et reconstituer nos territoires, mais sous forme de républiques démocratiques pour être dans l’air du temps. La République démocratique du Baol, la République du Cayor, celle du Walo, celle du Jolof, celle du Fouta, celle du Sine, celle du Saloum, celle de Niani, celle du Wouli, celle de Gabou, celle de Gorée, etc.
Vous vous demandez sans doute de quelle république je serai président. Eh bien, laissez- moi vous expliquer. Le Walo dont je suis originaire n’est plus à ma portée car personne là-bas ne se souvient de mes origines royales. Mon sang bleu y est contesté. La République Démocratique de Mbodjiène aussi risque de ne pas voir le jour car les Mbodj sont trop nombreux au Sénégal et chacun veut sa part du gâteau. Hier soir, juste avant d’aller au lit, j’avais pensé à faire de ma famille ma république indépendante. Je m’étais dit que mon frère cadet ferait un bon Premier ministre et que ma mère pourrait assumer le ministère de l’Intérieur vu qu’elle fait bien le ménage et la cuisine. Mais ce serait une histoire de famille et non une république. J’ai alors pensé aux républiques des Abdoulaye, il en faudrait plusieurs car il y a les Abdoulaye de teint clair et les Abdoulaye de teint foncé, comme moi. Vous comprenez ? Il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes. Et de même qu’il y a l’ivoirité, il y aura l’abdoulayité. Les Abdou et les Abdoul seront exclus. C’est d’ailleurs pourquoi Ndioufa a perdu les élections. Chacun doit créer sa propre république indépendante. Pour ma part, ma décision est prise, je serai président à vie de la république démocratique de moi-même, mes jambes, ministres des forces armées et mes bras ministres de l’Intérieur. Je vous l’ai dit, je ne suis pas n’importe qui. Vous vous demandez comment je m’en sortirai économiquement ? Je vais vous répondre. Attention ! Je suis sérieux, moi. De mon père, j’ai hérité un cheval qui fera ma fortune. Je l’ai appelé Maalaw. (Lat Dior n’était pas démocrate mais son cheval fut un bon serviteur.) Avec ses excrétions je ferai des cigarettes. Une nouvelle marque déposée que j’appellerai « Neefare ». N’en parlez pas trop autour de vous car je crains que quelqu’un d’autre aille déposer le brevet avant moi. Cigarettes biologiques, cent pour cent nature. Je mettrai sur l’emballage « Cancer assuré au bout de deux ans ». L’homme aime risquer sa vie. Et je demanderai à Koumba Gaolo ou Vivianne Ndour d’en faire la publicité. (Il faut des stars pour vendre la mort.) Imaginez le tabac. J’aurai ainsi des milliards et des milliards de « dërëm » en fabriquant une évidente arme de destruction massive acceptée par tous les pays du monde. Nous savons tous que la cigarette tue plus que les armes supposées de Sadam Hussein. Mais il faudra que je m’associe à des compagnies américaines pour ne pas recevoir les inspecteurs en désarmement de l’O.N.U.
Mon père ne m’a pas laissé assez de « ripaas » et de « rákal », mais je ne suis pas seul dans cette situation. La deuxième cimenterie de Laye Wade aussi n’a pas un stock de matières premières assuré. Mais l’usine est déjà sur quatre pattes et c’est l’essentiel. Pour le reste, on verra plus tard. Et puis le tabac rapporte plus que le ciment.
Et pour impressionner davantage le vieux Doukouré, je me lancerai aussi en croisade, un peu à la manière de Bush, mais contre un autre terrorisme qui fait plus de victimes que les attentats : le sida. Seulement il me faudra trouver un lien entre le sida et le pétrole, sans quoi Tony Blair ne fera pas campagne pour moi et je n’aurai pas le soutien de la communauté internationale.
Je dois encore un paquet de Camélia au boutiquier du quartier, mais je lui demanderai d’éponger la dette. Les jeunes républiques démocratiques ne doivent plus payer leurs ardoises.
Que chacun crée sa république et l’Afrique ira loin.
Le Nigeria et le Cameroun se disputent une portion de terre, le Maroc et l’Espagne une pierre inhabitée. Moi, je leur dis : « Faites-en des républiques indépendantes et vous aurez la paix. »
J’avoue cependant que je suis rassuré quand je vois ce qui se passe au Nigeria où il y a aura bientôt deux républiques, l’une de démocratie chrétienne et l’autre de démocratie musulmane. La Côte d’Ivoire n’est pas loin derrière, de même que la République centrafricaine et bien d’autres pays qui emboîtent le pas. L’Afrique retrouve enfin son identité.
Quand l’Europe et l’Amérique nous diront qu’elles sont plus développées que nous, nous leur répondrons : « Oui, mais nous avons plus de républiques indépendantes, plus de Chefs d’État et plus de ministres. Nous avons tellement de ministres que nous n’arrivons pas à leur trouver des bureaux. » Attention ! Je vous l’ai dit, je ne suis pas n’importe qui. Attention ! J’accepte les étiquettes « indépendantiste », « séparatiste » et tout ce que voulez, pourvu que je sois Président de la République. J’ai parlé. A moi donc la main de Diéo Doukouré.

Bathie Ngoye Thiam.


< Retour au sommaire